« Il était temps que la Marine, présente sur toutes les mers du globe, reprenne pied en zone polaire »
À la tête de la Commission permanente des programmes et des essais des bâtiments de la flotte (CPPE) depuis septembre 2016, le vice-amiral Antoine Beaussant préside les commissions supérieures d’armement et propose (ou pas) au CEMM l’admission au service actif de tous les navires de surface et sous-marins. Pour Cols Bleus, il détaille les programmes actuels du renouvellement de la flotte et revient sur la capacité des nouveaux bâtiments à remplir leurs missions de souveraineté.
Cols Bleus : Amiral, vous avez pris la présidence de la CPPE, pouvez-vous nous préciser son rôle dans le déroulement d’un programme ?
VA ANTOINE BEAUSSANT : La CPPE est directement rattachée au CEMM et lui permet d’assurer deux responsabilités majeures : jouer le rôle d’autorité du pavillon pour les bâtiments militaires et s’assurer que ces derniers répondent au besoin opérationnel exprimé.
Elle est présente à chaque étape du processus
de l’armement d’un bateau : depuis l’expression du besoin militaire jusqu’à son admission au service actif. Elle est plus particulièrement chargée de vérifier la conformité de nos bateaux au référentiel de sécurité maritime. Elle préside les commissions de sécurité maritime. Elle assure aussi le suivi de la période d’essai de nos bâtiments. Cela permet de s’assurer de la conformité de nos navires aux spécifications initiales exprimées par la Marine. À cet effet, je préside les commissions supérieures d’armement et propose (ou pas) au CEMM l’admission au service actif de tous nos navires de surface et sous-marins.
CB : Le bâtiment multi-missions (B2M) Champlain a mené sa première tournée de ravitaillement dans les îles Éparses. Quant au patrouilleur léger guyanais (PLG) La Confiance, il a apporté une contribution décisive dans l’opération Halicorne. Quels sont les premiers retours d’expériences de ces deux types de bâtiments dans leurs capacités à remplir leurs missions de souveraineté ?
VA A. B. : Trois B2M sont dorénavant opérationnels et deux PLG. Ces bateaux ont été rapidement spécifiés, rapidement construits, et la Marine se félicite tous les jours de leurs aptitudes opérationnelles. Ce sont des bateaux à la fois rustiques et confortables qui ont été pensés et adaptés aux missions qui leurs sont dévolues outre-mer. J’ai navigué sur chacun d’entre eux, et je peux vous assurer que les commandants et les équipages comme leurs contrôleurs opérationnels ont le sourire. Et au-delà du sourire, les résultats sont au rendez-vous : qu’il s’agisse de la rapidité et des volumes de matériels livrés par le Champlain ou des tapouilles arraisonnées par La Confiance.
CB : Vous étiez à la cérémonie de transfert de l’Astrolabeà la Marine nationale, le 11 septembre, à La Réunion. Quel est votre première impression sur ce navire brise-glace construit dans le cadre d’un partenariat novateur entre la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), l’Institut polaire français (IPEV) et la Marine nationale ?
VA A. B. : C’est effectivement un programme original puisqu’il fait l’objet d’un partenariat entre l’administration des TAAF, l’Institut polaire Paul-Émile Victor et la Marine nationale. Au terme d’un processus gagnant-gagnant, comme on dit aujourd’hui, ce bateau acheté par les TAAF et opéré par la Marine permet de remplacer deux bateaux : l’ancien Astrolabe des TAAF et l’Albatros de la Marine. Ainsi, il est utilisé par les TAAF 5 mois par an pour assurer le ravitaillement des missions scientifiques en Terre-Adélie, et le reste de l’année par la Marine pour assurer les missions de souveraineté dans la zone sud de l’océan Indien.
Il était temps que la Marine, qui est présente sur toutes les mers du globe, reprenne pied en zone polaire. Nous n’y étions plus venus depuis les expéditions du commandant Charcot après-guerre. Or la Marine doit disposer de cette aptitude à naviguer en zone polaire. Cette expérience nous sera, j’en suis certain, très utile pour l’avenir alors que la route du Nord est en train de devenir une réalité, et que cela va modifier à terme les routes maritimes, et par là même la géostratégie des océans.
©T. Wallet/MN
CB : Qu’attendez-vous des bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) et comment se passent les essais du premier de série La Loireà Concarneau ?
VA A. B. : Le premier BSAH est en cours d’achèvement, il fait actuellement ses essais industriels à Concarneau et arrivera à Toulon en novembre où il poursuivra ses essais. Le second ressemble déjà à un bateau, vous pouvez l’admirer si vous passez aux chantiers Piriou de Concarneau. Il ressemble beaucoup à son aîné le B2M même s’il est encore plus imposant et adapté aux missions métropolitaines, notamment en termes de capacité de remorquage et de systèmes d’intervention sous la mer.
CB : Comment, avec l’arrivée du numérique, garantir un niveau suffisant de résilience et d’invulnérabilité des nouveaux bâtiments ?
VA A. B. : C’est un domaine difficile à appréhender, car la réalité que recouvre le mot cyberdéfense n’est pas toujours bien définie. Je crois pourtant que les choses sont assez simples. En matière de conception, nous devons avoir des architectures qui permettent de bien séparer les réseaux et de maîtriser les points d’accès. Il nous faut également au-delà de la redondance que nous mettons en place, aller jusqu’au bout de la démarche et disposer d’automates certifiés mais de conceptions variées et de ne pas devenir prisonnier de nos propres normes. En termes de pratique, il faut arrêter de surclassifier les documents et les données et en particulier les plus volatiles. Il convient également d’avoir une hygiène numérique très stricte et l’imposer à tous ceux qui interviennent sur nos équipements.
Enfin, il faut disposer de capacités de surveillance pour être capable de détecter en temps réel toute situation anormale sur nos réseaux et intervenir sans délai.
CB : Le rôle primordial de la Marine au sein des armées implique le maintien de ses grandes composantes. Quels sont les programmes actuels du renouvellement de la flotte ?
VA A. B. : On me demande parfois si je fais de longues siestes… car quand on parle de bateau neuf, les gens n’imaginent pas que la Marine en accueille un grand nombre.
Vous savez que le programme FREMM produit en gros une FREMM par an, le premier Barracuda donnera ses premiers tours d’hélice en 2019, B2M, BSAH, PLG sont des programmes en cours (le troisième PLG a été annoncé fin septembre !)… mais il n’y a pas que les plus gros programmes. La Marine renouvelle aussi nombre d’embarcations auxiliaires ou de servitudes indispensables au bon fonctionnement des ports : les vedettes portuaires (VLI), les chalands multi-missions, remorqueurs… sans oublier les propulseurs sous-marins de nouvelle génération (véritables petits sous-marins pour les commandos).
Vous savez que le programme des frégates de taille intermédiaire a été lancé. Le remplacement des chasseurs de mines à travers le programme SLAMF fait l’objet d’études industrielles, et le CEMM travaille au quotidien au lancement des programmes Batsimar et Flotlog.
CB : Enfin, d’une manière plus générale, quelles recommandations donneriez-vous aux équipages qui conduisent les essais d’un nouveau bâtiment ?
VA A. B. : Soyez exigeant avec vous-mêmes comme avec vos interlocuteurs qu’il s’agisse de la maîtrise d’ouvrage ou des industriels. Tracez ce que vous faites de façon à ce que le retour d’expérience fonctionne. Ce n’est pas parce que vous y êtes arrivé que vous devez être satisfait : il faut faire bouger les organisations pour que les difficultés rencontrées ne se reproduisent plus.
Et surtout vous avez de la chance de naviguer sur des unités neuves et globalement bien conçues. Alors profitez-en bien, tirez-en le maximum. Audaces fortuna juvat (« La fortune sourit aux audacieux » – Virgile, L’Énéide).