« Un travail de réflexion stratégique »
Dans son ouvrage qui paraît ce mois-ci, le contre-amiral Pierre Vandier, ancien commandement de la Flottille 12F et ex-pacha du porte-avions Charles-de-Gaulle, souhaite « apporter une contribution doctrinale utile » et « montrer qu’il est possible pour des militaires de participer à l’effort intellectuel indispensable pour appréhender le monde qui vient ».
COLS BLEUS : Amiral, qu’est-ce qui vous a amené à écrire un livre sur la dissuasion ?
CA Pierre VANDIER : J'ai toujours été passionné par la dissuasion depuis mon entrée à l'Ecole Navale en 1987. A l’époque, le « pape » (commandant de l’École Navale) était l'amiral Orsini, ancien commandant de SNLE. Soucieux de nous faire réfléchir sur ces sujets, il nous avait emmenés rencontrer Jean Guitton chez lui à Paris, pour discuter avec lui des aspects politiques et éthiques de cette arme de transgression absolue. Tout au long de ma carrière de pilote d’aviation embarquée – le Super Étendard Modernisé mettait en œuvre le missile Air-sol moyenne portée (ASMP) emportant une arme nucléaire –, j'ai ressenti le besoin de poursuivre la réflexion en ce domaine, notamment par « déontologie professionnelle ». On ne peut pas se préparer à mettre en œuvre l’Apocalypse sans tenter de comprendre le sens et la portée de la dissuasion.
Cette réflexion prend aujourd'hui une dimension particulière alors que s’éteint durablement la perspective d'un désarmement nucléaire général, que toutes les puissances nucléaires modernisent leurs forces et que la Corée du Nord est probablement en passe de rejoindre le « club nucléaire » avec des conséquences profondes sur les équilibres géopolitiques de la région.
CB : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre ouvrage ? A qui s’adresse-t-il ?
CA P. V. : Au départ, il s’agissait d’un travail de réflexion stratégique mené dans le cadre du CHEM (Centre des Hautes Etudes Militaires) où j’étais auditeur en 2016. Il a intéressé ses lecteurs dont certains m’ont poussé à l’adapter pour le vulgariser. Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui souhaitent nourrir leur réflexion sur la stratégie nucléaire à un moment clé de l’histoire du XXIe siècle, un moment où l’on assiste à un réarmement mondial sans précédent depuis la fin de la guerre froide.
Le cœur de cet ouvrage, c’est une réflexion sur ce que sont, pour la France, les « fondamentaux » de la dissuasion, dans un monde où les règles sont en train de changer radicalement. Si pendant la guerre froide l’ennemi était assez clairement défini et les scénarii plutôt bien cernés, la période actuelle est marquée par un brouillage des frontières guerre-paix comme de celles entre menaces intérieures et extérieures. Pendant les cinquante dernières années, beaucoup ont misé sur l’effondrement des Etats-Nations avec une perception très économique des rapports de force. Dans ce nouveau contexte, l’expression de la dialectique de la dissuasion est beaucoup plus complexe. Cette complexité rebute et pousse certains à voir dans la dissuasion une doctrine obsolète alors qu’au contraire, on mesure partout dans le monde à quel point elle reste active et sert notamment de bras de levier à toutes les puissances émergentes. Si, en France, la menace d’une invasion du territoire national a clairement perdu de son acuité, on sent bien poindre des menaces de chantage, tout aussi graves, et dont la mise à exécution pourrait aboutir à un asservissement impitoyable.
A travers cet ouvrage, j’espère contribuer à dégager quelques principes qui aideront ceux qui réfléchissent à ces sujets à avancer.
CB : Votre expérience de pilote d’aviation embarquée vous a permis de connaître la Force d'action navale nucléaire (FANU) de l’intérieur ? Un mot sur cette composante dont on parle peu ?
CA P. V. : La FANU n’est pas une force permanente. Elle opère en complément des deux forces permanentes que sont la Force Océanique Stratégique et les Forces Aériennes Stratégiques. Elle est activable à la demande du Président de la République, chef des armées. Elle tire sa pertinence de la valeur militaire et politique du porte-avions en élargissant de façon très intéressante le panel des options à la disposition du chef de l’Etat. La mobilité de la plateforme, l’usage des eaux et espaces aériens internationaux, la dimension symbolique du porte-avions sont des atouts essentiels de la FANU.
CB : Beaucoup ont déjà écrit sur la dissuasion : quel nouvel éclairage pensez-vous apporter ?
CA P. V. : Peu de militaires ont écrit sur le sujet depuis les quatre généraux de l’Apocalypse, André Beaufre, Charles Ailleret, Pierre-Marie Gallois et Lucien Poirier qui ont posé les fondations de la doctrine française. La dimension politique de la dissuasion est un fort inhibiteur pour le militaire dont la liberté d’expression obéit à des règles strictes. En publiant cet ouvrage, j’espère avoir atteint deux objectifs : apporter une contribution doctrinale utile et en même temps montrer qu’il est possible pour des militaires de participer à l’effort intellectuel indispensable pour appréhender le monde qui vient.
La dissuasion au troisième âge nucléaire, Pierre Vandier, Ed. du Rocher, 100 pages, 11 €.