La guerre sous-marine perturbe les activités maritimes des populations littorales de la Méditerranée. Les sorties en mer deviennent dangereuses en raison des mines que les sous-marins viennent mouiller très près des côtes. Les marins qui arment les navires de lutte remplissent une tâche essentielle mais obscure. En 1918 pourtant, les efforts paient et l’étau se desserre enfin, même si cette dernière année de guerre apporte encore son lot de drames.
L’année 1918 voit peu à peu se relâcher la pression exercée par les sous-marins allemands en Méditerranée et notamment sur les côtes de France. En effet, après des mois de tâtonnements, la direction de la guerre sous-marine a adopté la technique du convoi, beaucoup plus efficace pour protéger les navires de commerce que celle des routes patrouillées préconisées jusqu’alors. Le canon de 47 mm installé à bord des bâtiments de protection dissuade également les commandants des sous-marins de s’approcher trop près et d’attaquer en surface. Ils sont alors très vulnérables car un seul impact dans leur coque les empêche de plonger pour fuir.
La poussière navale au feu
À bord des petits navires de protection, le rythme des missions est éprouvant. Depuis l’été 1917, quand l’Allemagne a porté à son maximum les raids des sous-marins, les hommes restent en mer 25 jours par mois à scruter la mer. Toute une « poussière navale » est mise à contribution, et notamment de gros chalutiers à vapeur réquisitionnés sur les côtes de l’Atlantique ou bien achetés en toute hâte pour faire face à cette menace sous-marine que personne n’avait prévue. Il n’est pas rare qu’ils se trouvent aux prises avec l’ennemi. L’un des exemples les plus fameux est le combat du chalutierAilly, le 16 mai 1918 au large de la Sardaigne. Ce jour-là son commandant, le premier maître timonier Victor Le Roux rencontre l’UC 35 qui guette le passage des navires de commerce. Il décide d’ouvrir le feu malgré l’infériorité de son artillerie, mais grâce à l’habileté de sa manœuvre et la précision des canonniers, le sous-marin est touché et coule très vite. L’équipage de l’Ailly parvient à sauver cinq hommes.
Il est un autre danger qui menace directement les habitants des côtes méditerranéennes : il s’agit des mines. Les commandants des sous-marins allemands savent tout l’avantage qu’elles offrent. Cependant, il leur faut beaucoup d’audace pour s’approcher des côtes car ils doivent mouiller leurs engins par petits fonds. Au cours de la dernière année de la guerre, pas moins de 12 barrages ont été déployés dans les entrées du port de Marseille et près de Villefranche-sur-Mer. Ces dispositifs visent les navires de commerce qui ravitaillent la France mais, de fait, menacent toutes les embarcations amenées à naviguer dans ces parages. Les abords de l’île de Planier sont particulièrement dangereux pendant l’été. En juillet 1918, les navires de la station de Provence ont effectué plus de 15 sorties exclusivement consacrées aux opérations de dragage.
Pour contrer la menace, les dragueurs s’activent. La tâche est ardue et particulièrement dangereuse. Il faut parvenir à couper l’orin et ensuite faire exploser l’engin. Les navires sont souvent équipés d’un ballon captif dans lequel un homme prend place pour scruter l’horizon. À la vue du moindre indice, les dragueurs se mettent en action.
Guerre des mines
Le 23 janvier 1918, alors qu’il opère devant Marseille sur un champ de mines qui a déjà piégé le transport Drôme, le dragueur Kerbihan est touché à son tour au petit matin. L’explosion très violente a fait couler le navire en quelques minutes, tuant 15 hommes d’équipage. Les épaves de ces deux navires reposent non loin l’une de l’autre dans la partie sud de la baie de Marseille.
Les mines arrivent souvent jusqu’à la côte. Elles n’en demeurent pas moins très dangereuses. Au printemps, on en trouve jusque dans l’embouchure de l’Orb, à proximité de Sète. La population littorale s’affole. Presque au même moment, le 28 mars, à proximité de Port-de-Bouc, des pêcheurs remontent un engin dans leur filet et abandonnent le tout dans la panique. Ils semblent nettement moins habitués que leurs collègues des rives de l’Atlantique qui n’hésitent pas à tirer au fusil sur celles qu’ils peuvent apercevoir de loin. En effet, les pêcheurs méditerranéens sont moins exposés que ceux des littoraux occidentaux. Embarqués sur de très petits navires, ils ne s’éloignent guère des côtes et ne risquent pas de rencontrer directement les sous-marins allemands. En revanche, les équipages des thoniers de l’Atlantique, et même les sardiniers bretons, sont parfois pris pour cible. Le danger est tel que des mesures particulières de protection ont été mises en place sur toute la façade occidentale. Les navires sont alors escortés sur les sites de pêche et doivent coordonner leur action avec la présence des flottilles de défense. L’enjeu est de taille : cet apport en protéines est essentiel à l’alimentation des soldats dans les tranchées. Par comparaison, la situation en Méditerranée est plus tranquille, même si c’est à la chance qu’on doit qu’aucun pêcheur n’ait péri des conséquences directes de la guerre sous-marine.
Les sous-marins allemands mouillent leurs dernières mines sur les littoraux méditerranéens dans le courant du mois de septembre 1918. Déjà, le rendement a considérablement baissé en raison de l’efficacité des moyens de lutte. En effet, il faut désormais mouiller pas moins de 64 mines pour espérer couler un seul navire de commerce quand il n’en fallait que 25 à la fin de l’année 1915.
Isabelle Delumeau – École navale