« L’amphibie ou la projection de force et de puissance par excellence ! »
Au sein de la Force d’action navale (FAN) basée à Toulon, le capitaine de vaisseau François-Xavier commande la composante amphibie de la Force aéromaritime de réaction rapide française (FRMARFOR). Il présente les enjeux de l’amphibie.
Cols Bleus : Commandant, vous êtes un spécialiste des opérations amphibies. Comment les définit-on ?
CV François-Xavier : Quand on parle des opérations amphibies, on pense tout de suite à Overlord en Normandie : débarquement massif de fantassins et de matériel lourd sur la plage. Or, la capacité à mettre en œuvre des hélicoptères d’attaque à partir de nos plateformes pour intervenir à terre, comme pendant l’opération Harmattan en Libye, c’est aussi une opération amphibie. Pour les puristes, l’amphibie c’est donc à la fois de la projection de force mais également de la projection de puissance. Encore plus proche de nous, ce qui a été fait par le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre pendant l’opération Irma pour venir au secours des populations sinistrées aux Antilles est une opération qui a utilisé des modes d’action amphibie.
CB : À quand remonte le conceptd’opérations amphibies ?
CV F.-X. : Je dirais que le concept moderne de l’amphibie est né entre les deux guerres mondiales, à l’issue du désastre des Dardanelles. La nécessité de disposer de matériel adapté et de troupes spécialisées, l’apport de l’aviation, des hélicoptères et de l’artillerie navale, le besoin de préparer le terrain (déminage en particulier), de tout planifier de la manière la plus précise possible : c’est aux stratèges de l’entre-deux-guerres que nous le devons.
CB : Ce concept a sensiblement évolué au cours des siècles. Comment et pourquoi ?
CV F.-X. : L’invasion de la Bretagne (la Grande-Bretagne d’aujourd’hui) par César était une opération amphibie. Certains n’hésitent pas à faire remonter l’origine de l’amphibie à la guerre de Troie. Depuis, forcément, grâce aux progrès techniques et surtout à la lumière de retour d’expérience souvent douloureux, le concept a beaucoup évolué. Un des enseignements principaux est que le changement de milieu impose une connaissance et une prise en compte fine de l’environnement aéromaritime et aéroterrestre.
CB : Quels sont les enseignements que l’on peut encore tirer aujourd’hui de l’opération Overlord, le 6 juin 1944 ?
CV F.-X. : Si je devais n’en retenir qu’un, ce serait l’effet de surprise. Celui-ci a été essentiel pendant Overlord. Aujourd’hui, il est toujours nécessaire de maintenir secrets le plus longtemps possible le lieu et l’heure du débarquement. Cela implique des manœuvres de diversion, des opérations d’influence, de garder les bâtiments précieux loin de la côte le plus longtemps possible, d’intervenir tôt le matin, de déminer discrètement les abords de la plage. D’ailleurs, quand on planifie une opération amphibie, on commence souvent par définir l’HPS, l’heure de perte de la surprise, ou plus exactement l’heure à laquelle on se permet de perdre l’effet de surprise : le plus tard, évidemment.
CB : Quels atouts procure une capacité amphibie ?
CV F.-X. : La mer est un espace de liberté, elle permet d’apporter sans contrainte une force et sa logistique au plus près de l’action. L’amphibie permet en outre de s’affranchir des installations portuaires ou aéroportuaires. En complément de ce que je viens de dire, c’est aussi un mode d’action très utile pour conduire des opérations d’évacuation de ressortissants, comme ce fut le cas en 2015 au Yémen. Sur un autre théâtre, c’est aussi pour cela qu’un BPC est régulièrement pré-positionné dans le golfe de Guinée dans le cadre de l’opération Corymbe.
CB : Quelles sont les principales activités amphibies réalisées par la Marine en 2017 et 2018 ?
CV F.-X. : Ces deux dernières années, pas moins de 10 exercices amphibies ont été organisés pendant lesquels nous avons multiplié les coopérations internationales (États-Unis, Grande-Bretagne, Espagne, Japon, Pays-Bas, Émirats arabes unis, Égypte). Le déploiement Bois Belleau a permis d’augmenter notre interopérabilité avec les Marines de l’USMC (US Marines Corps) de façon significative, et le Tonnerre est intervenu après le passage de l’ouragan Irma aux Antilles. L’exercice Catamaran au mois de juin 2018, au sud de la Bretagne, sera également une belle occasion d’affiner nos savoir-faire sous commandement franco-
britannique.
CB : Comment voyez-vous les opérations amphibies de demain ?
CV F.-X. : L’amphibie reste un domaine de lutte risqué face à une côte hostile. Pour s’en affranchir, elle fera de plus en plus appel aux drones et aux missiles de croisière et nous interviendrons de plus en plus loin de la côte grâce à l’allonge des
futurs moyens de débarquement de nouvelle génération (CTM NG) attendus pour 2019. Les engins de débarquement amphibie rapide (EDAR) en sont une première illustration.
Le drone Schiebel a par ailleurs démontré toute son utilité le mois dernier pendant l’exercice Wakri à Djibouti. Il va devenir essentiel dans
le domaine de l’amphibie. Les choses bougent, nos modes d’action et notre doctrine vont évoluer grâce à ces nouveaux matériels.
CB : La France peut-elle rester leader en Europe dans ce domaine ?
CV F.-X. : Aujourd’hui la France, grâce à ses 3 BPC, ses 2 brigades interarmes à vocation amphibie – 6e brigade légère blindée (6e BLB) et 9e brigade d’infanterie de Marine (9e BIMa) –, sa brigade d’hélicoptères, la flottille amphibie, ses fusiliers et commandos, ses forces de guerre des mines, ses frégates d’accompagnement et ses états-majors, dispose d’une force entraînée, puissante, cohérente, capable de se déployer sur tous les océans et leader en Europe. Avec toute mon équipe interarmées N0A au sein de FRMARFOR, nous faisons en sorte qu’elle le reste.
À RETENIR
• Dans une opération amphibie, l’effet de surprise est essentiel.
• La mer est un espace de liberté, elle permet d’apporter sans contrainte une force et sa logistique au plus près de l’action.
• La France dispose d’une force amphibie entraînée, puissante, cohérente, capable de se déployer sur tous les océans et leader en Europe.
Propos recueillis par Charles Desjardins