Inventeur et précurseur méconnu, le capitaine de corvette Louis de Corlieu se passionna toute son existence pour le sauvetage en mer. Il a créé, expérimenté et breveté les premières palmes modernes de natation.
Il y a 85 ans, le 13 juin 1933 au petit matin, les rares badauds de la baie de Saint-Jean-de-Luz assistent à un bien curieux spectacle : une silhouette humaine à l’étrange costume de science-fiction prolongé d’appendices se lance à la nage vers le large en remorquant une valise de survie, escorté par une vedette de la Marine nationale venue d’Hendaye. Le capitaine de corvette de réserve Louis de Corlieu vient de s’élancer pour le premier essai au monde de nage en mer avec ses inventions qu’il souhaite voir adopter par la Marine : les « propulseurs de natation et de sauvetage », c’est-à-dire les premières palmes aquatiques modernes, et le « costume SOS frigorifuge » en caoutchouc-mousse, un ancêtre des combinaisons nautiques en néoprène modernes. Marqué en 1915 par le dramatique naufrage aux Dardanelles du cuirassé Bouvet, coulé par une mine qui a fait 648 victimes, et par une série d’accidents d’avions survenus dans l’Atlantique durant les années 1920, Corlieu veut prouver qu’ainsi harnachés, les membres de l’équipage d’un avion tombé en mer peuvent survivre.
Passionné de technique et d’innovation
Né en 1888, passionné de natation depuis l’enfance, Louis de Corlieu intègre l’École navale en 1906. Officier breveté canonnier, il termine la Première Guerre mondiale avec le grade de lieutenant de vaisseau, la Légion d’honneur et une citation à l’ordre de la brigade après avoir servi sur le cuirassé Latouche-Tréville et avoir commandé un torpilleur à Dunkerque. Passionné de technique et d’invention, il dépose, dès 1913, un brevet d’amélioration des moteurs diesel, étudie en 1917 un mécanisme de réglage en profondeur pour grenades anti-sous-marines et conçoit en 1924 un système de catapulte pour avions embarqués. Il est jugé « excellent officier en temps de guerre mais insupportable en temps de paix » par ses supérieurs hiérarchiques. L’étude des techniques de survie en mer est sa vraie passion. Pour pouvoir s’y consacrer entièrement, il demande à être versé en 1925 dans le cadre de la réserve.
Premier parcours en mer au large d’Hendaye
Depuis 1914, il travaille à l’élaboration d’engins aquatiques permettant à un nageur d’avancer plus vite dans l’eau. Il a conscience qu’en cas de discontinuité dans l’impulsion, l’efficacité de la propulsion est diminuée. Un mouvement continu et amplifié de battements de pieds type crawl avec des propulseurs à la fois souples et rigides lui paraît être la solution. Près de vingt ans après avoir conçu son premier prototype de propulseurs aquatiques, fort de multiples essais conduits en piscine et sur divers cours d’eau (dont le fleuve Congo durant un séjour d’ingénieur hydrographe en Afrique) devant des spectateurs surpris ou hilares, Louis de Corlieu effectue donc au Pays basque en six heures et demie ce premier parcours en mer de huit kilomètres au large de la corniche vers Hendaye. Tout cela en dépit de la fraîcheur de l’eau, d’une mer agitée et d’une météo défavorable.
La Marine n’adopte pourtant pas ses inventions estimées « loin d’être au point » et Louis de Corlieu continue de consacrer toute son énergie et son argent à améliorer encore ses propulseurs de caoutchouc renforcés de lames d’acier et à les faire breveter. Il retrouve son camarade officier de marine Yves Le Prieur, l’inventeur du premier scaphandre autonome, et de concert, ils unissent leurs inventions pour créer l’homme-grenouille, mobile et affranchi de tout tuyau et lien avec la surface.
Succès sur le marché américain en 1940
Concours Lépine, démonstrations à l’occasion de compétitions de natation, exposition universelle de 1937 avec le « Club des scaphandres et de la vie sous l’eau », articles dans les journaux… Louis de Corlieu se démène pour promouvoir son invention, que, faute d’industriel intéressé, il fabrique de manière artisanale dans son appartement parisien (au grand dam de sa femme et du voisinage incommodés par le bruit et les odeurs des produits chimiques) et qu’il vend directement par des annonces dans la presse.
En 1939, il cède les droits de fabrication de ses palmes pour les États-Unis à l’homme d’affaires californien Owen Churchill qui les a vues utilisées à Tahiti. Celui-ci leur apporte quelques améliorations et les lance sur le marché américain en 1940 sous le nom de « swim-fins » où elles connaissent un grand succès. Elles équipent rapidement les nageurs de combat de la Seconde Guerre mondiale et permettent, une fois la paix retrouvée, l’extraordinaire développement de la natation, du bodysurf, du sauvetage aquatique et de la plongée sous-marine. Un autre marin, le célèbre commandant Cousteau, déclare en 1956 : « Sans [ces palmes], on n’aurait rien pu faire. »
Procès et contrefaçons
Durant le reste de sa vie, Louis de Corlieu se ruine en intentant des procès interminables aux nombreux contrefacteurs de son extraordinaire trouvaille. Mort en 1967, il ne tire ni gloire ni fortune de son invention révolutionnaire. Pourtant, grâce à lui, l’homme a pu réduire quelque peu le fossé géant qui sépare ses capacités aquatiques de celles des mammifères marins et des poissons. Il est donc grand temps aujourd’hui de rendre hommage à cet inventeur méconnu.
CDT (R) (Terre) Hervé Manificat, médaillé de l’Académie de Marine 2017
Pour en savoir plus
Bibliographie
• Le premier Delphinus humain, l’histoire d’une invention, Yves Clercin et Guy Lunal, chez les auteurs, 2017.
• Terre des vagues, une anthologie de la vague et de ses littératures, Hervé Manificat, Atlantica, 2016.