Capitaine de corvette Laurent, commandant en second et chef du noyau d’armement - Équipage A
L’armement de L’Astrolabeétait un armement classique auquel il a fallu ajouter tout ce que nous savions du « très grand froid ». Cela nous a demandé une grande capacité d’anticipation ! Nous avons ainsi dû repenser un certain nombre de pratiques. La doctrine nous dit par exemple que les lances doivent demeurer « sous pression ». Or, par grand froid, l’eau qui y est contenue gèle, rendant la lance inefficace. De même, la récupération d’un homme à la mer par -20°C impose un protocole particulier : il faut considérer le risque de givre et la nécessité de réchauffer très rapidement le naufragé. Tout cela a été consigné dans un manuel d’exploitation propre au patrouilleur qui identifie bons et mauvais usages. Nous avons également dû concevoir le « sac grand froid », un paquetage adapté aux températures extrêmes. Pour tout cela, nous nous sommes beaucoup appuyés sur la pratique de nos prédécesseurs, notamment des marins de l’ancien Astrolabe : une fois à bord, on se retrouve, malgré les équipements modernes, à appréhender le milieu hostile de l’Antarctique comme eux. Il faut sans cesse rester aux aguets car la moindre erreur peut avoir des conséquences dramatiques. Le défi était de taille mais nous l’avons relevé grâce aux deux principales qualités du marin : rigueur et adaptabilité.
Maître Grégory, plongeur de bord - Équipage A
À bord, je fais partie des trois plongeurs que compte L’Astrolabe. Il s’agit d’une opportunité personnelle d’exception et d’un véritable challenge professionnel : nous inaugurons tout ! Les plongées sont fréquentes pour vérifier l’état des hélices et de la coque. Celles-ci demandent une rigueur de tous les instants car les risques sont nombreux dans les eaux glaciales. Nous devons par exemple surveiller et éviter la formation de givre sur nos détendeurs qui, s’ils venaient à se bloquer, pourraient laisser échapper l’équivalent d’une bouteille d’air en
30 secondes en fonction de notre profondeur. Autre risque inhabituel et qui peut paraître incongru : la présence de léopards de mer, particulièrement agressifs. Pour tester notre matériel, la Cephismer a mené une campagne de plongée sous glace dans le lac de Tignes. Nous avons ensuite effectué notre première plongée « eau froide », dite d’accoutumance, aux abords de l’île de Macquarie, dans une eau à 3°C. C’est ma troisième affectation outre-mer mais la navigation dans les glaces, c’est indescriptible ! Vous pouvez vous imprégner d’images mais aucune ne vous rendra l’atmosphère atypique qui règne là-bas et que l’on ne peut ressentir que lorsqu’on y est !
Maître Loïc, commis aux vivres - Équipage B
Pour des militaires, c’est assez inédit d’accueillir autant de civils. Nous nous adaptons donc petit à petit, en mettant en pratique les conseils du cuisinier de l’ancien Astrolabe qui nous a accompagné lors du trajet de Brest à La Réunion. Cette expérience agrémente ma spécialité d’un savoir-faire supplémentaire, car mon rôle s’apparente un peu à de l’hôtellerie : il faut, fidèlement au plan de couchage, préparer les postes des passagers avant chaque début de rotation, délivrer linge de lit et de toilette, puis organiser les départs en veillant à la propreté des postes. Nous proposons également des menus adaptés pour les personnes allergiques, les végétariens ou les vegans. À bord, les passagers sont autonomes la plupart du temps. Nous mettons à leur disposition films et livres dans leur espace de convivialité, afin qu’ils puissent se distraire un peu. Quand ils sont indisposés par l’état de la mer, c’est nous qui les prenons en charge. Ils ne sont pas difficiles et tout s’est très bien passé jusqu’à présent. À partir des prochaines rotations, j’essaierai de faire davantage participer les passagers volontaires à la vie du bord.
L’expérience en Antarctique est merveilleuse. Pour moi, c’est un peu comme un rêve de gosse de naviguer entre les icebergs et dans la glace. J’ai du mal à réaliser que j’y suis.
Premier Maître Martin, chef de quart - équipage B
L’expérience est riche car elle aiguise notre sens marin. Il faut évoluer dans un environnement sans cesse en fluctuation, « le Pack », et donc surveiller les nombreux éléments qui influencent les mouvements de la glace : le vent, les courants, la rupture de grandes plaques de banquise… Ces variations nous obligent en permanence à nous reconfigurer, sans pouvoir suivre une route pourtant tracée en amont. En tant que chef de quart, j’ai ainsi dû apprendre à chercher le contact avec la glace, ce qui n’est pas naturel dans notre métier. L’étude quotidienne d’images satellites géo-référencées est indispensable pour trouver son chemin. C’est pourquoi nous testerons prochainement un nouveau logiciel d’aide à la navigation qui permettra à la Marine d’avoir une plus grande autonomie en zone polaire. Tout cela représente beaucoup de découvertes : nous sommes les premiers de la Marine à adopter ces savoir-faire, avec l’aide des commandants de l’ancien Astrolabe, qui nous accompagnent. Les rencontres à bord sont, elles aussi, très enrichissantes ! Nous embarquons de nombreux techniciens qui nous apprennent beaucoup de choses sur l’Antarctique. C’est une grande chance car même si nous sommes habitués à bouger, l’occasion d’aller dans des zones hostiles et si peu explorées reste extrêmement rare !
Quartier Maître Quentin, manœuvrier - Équipage B
Le domaine des manœuvres logistiques, conduites par le patrouilleur, est inédit et, en la matière, nous sommes encore novices. Travailler avec les dockers sur place est inhabituel et particulièrement enrichissant. Lorsqu’ils viennent à bord nous aider à dessaisir les conteneurs chargés en Tasmanie, ils nous donnent de précieux conseils sur la manière de les agencer et de mieux les caler. Nous ne pouvons pas toujours accoster au port : en début de campagne d’été austral la glace nous empêche d’y accéder. Nous arrimons alors L’Astrolabeà la banquise au plus proche de la base Dumont d’Urville, ce qui exige d’identifier la banquise adéquate et de procéder différemment d’un accostage classique : il faut creuser dans la glace, y fixer un martyr sur lequel une herse retiendra l’aussière. Puis, en lien avec le responsable logistique de la station, nous pouvons décharger le matériel et entamer les mouvements avec les hélicoptères pour débarquer les civils. Même s’il arrive parfois que nous travaillions de 07 heures à 20 heures dans un froid violent, c’est une expérience incroyable, dans un cadre magnifique. Si la question se posait de le refaire, je le referais sans hésiter ; nous y retournons d’ailleurs bientôt pour 3 mois et tout l’équipage est enthousiaste !