De nouvelles routes maritimes
Nouvelles routes maritimes pour commercer ou extraire des ressources naturelles, routes de patrouille et de zones à surveiller par les bâtiments militaires (la Marine y mène de plus en plus de missions, voir p.20-21), l’océan Arctique glacial est un espace maritime de plus en plus fréquenté, à cause notamment de la disparition de la banquise. Actuellement, la majorité des navires de commerce naviguent cependant entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique via trois caps : le cap Horn, le cap de Bonne Espérance et le cap Leeuwin. Ce chemin est pourtant relativement éloigné des grands centres économiques et humains.
D’où un attrait particulier pour les routes maritimes du nord. Un trajet entre l’Europe et l’Asie pourrait être réduit de 30 à 40 % en passant le passage du nordest. Un exemple : le trajet Le Havre-Tokyo par voie maritime. La route empruntant le canal de Panama équivaut à une distance de 25 000 km. Par le canal de Suez, c’est plus court avec seulement 20 000 km. Le temps de transit moyen est de 25 à 27 jours pour un porte-conteneurs. En utilisant le passage du nord-ouest, la distance n’est plus que de 15 000 km et de 13 000 km par le passage du nord-est, soit un gain de temps théorique d’une dizaine de jours et donc un coût de transport, en principe, réduit d’autant. De surcroît, l’absence de piraterie et de zones de conflit constituent également des avantages indéniables. Mais cet optimisme mérite d’être tempéré. Ces nouvelles voies ne sont actuellement navigables que 3 à 4 mois par an (de juin à octobre), et ce même avec le réchauffement. Les conditions météo y sont souvent difficiles, avec la présence de glaces qui ralentissent la vitesse des navires. Si, pour l’instant, il n’y a pas de droits de passage à payer, comme c’est le cas pour le canal de Panama et celui de Suez – de l’ordre de 100 à 150 000 dollars pour Panama, et 400 000 dollars pour Suez – il ne fait aucun doute que les pays riverains de l’Arctique feront payer le passage pour rétribution de services. Ne serait-ce que pour amortir leurs frais de fonctionnement, dont l’ouverture de voie par des brise-glaces ou la mise en place d’un dispositif de Search and Rescue (SAR) indispensable pour sécuriser cette région du globe majoritairement inhabitée.
PAS ENCORE DE PLUS-VALUE Pour les navires, ces routes du nord ne permettent aucune escale dans des ports intermédiaires pour charger ou décharger une partie de la cargaison. L’absence de balisage en mer, difficile à installer et à entretenir en raison des glaces hivernales, complique la navigation dans les eaux resserrées, et ce d’autant plus que le système de navigation satellitaire (GNSS) est confronté sur zone à des variations de signaux liées aux perturbations ionosphériques(1). Malgré la fonte des glaces, la navigation dans ces zones requiert également le recours à des navires répondant aux classes polaires des sociétés de classification (Ice Class). Tous les armateurs ne possèdent pas une telle flotte qui représente un coût additionnel d’exploitation, de même que le recours aux brise-glaces pour ouvrir le passage. Les primes d’assurance sont aussi surcotées. Les équipages doivent être formés à ce type de navigation car les équipements des navires sont spécifiques. Au final, pour l’exploitation des navires marchands, les surcoûts induits et les risques de navigation surpassent pour l’instant les gains de distance, d’autant plus que la vitesse de navigation commerciale est réduite. Enfin, s’agissant des marchés concernés, l’avantage concurrentiel des routes polaires n’est pas garanti. Un avis partagé aussi bien par les armateurs que les assureurs, tous unanimes sur ce point.
RÉGLEMENTATIONS ET INFRASTRUCTURES
Naviguer régulièrement sur les routes maritimes du nord impose de résoudre des problématiques de taille comme celle de pouvoir disposer pour ses utilisateurs d’un environnement plus sûr en matière de cartographie,d’hydrographie, de prévisions des glaces et de météorologie. En terme de tourisme, facteur également clé du développement, des zones touristiques vont devoir être organisées et aménagées. Concernant le Search and Rescue, il va falloir bâtir tout un dispositif le long de ces routes avec l’aménagement ou la création de ports et d’infrastructures. Autant de problématiques ayant incité les huit nations de l’Arctique et trois pays observateurs (dont la France) à initier et mettre en oeuvre un code polaire adopté le 1er janvier 2017. Ce code polaire vise à imposer des règles élémentaires, comme celle de n’autoriser à naviguer dans ces eaux froides que des bâtiments équipés de double coque ou de ne disposer que d’équipages qualifiés aux opérations de conduite et d’entretien en milieu polaire. Des réglementations d’autant plus indispensables que les cartes marines sous ces latitudes sont moins précises en raison d’une hydrographie incomplète, et que surtout les systèmes de positionnement, notamment par satellites, sont moins performants, tout comme les systèmes de communication traditionnels, par HF ou satellites, régulièrement perturbés.