Phénomène en pleine expansion dans le Pacifique sud, la pêche illicite est une menace nouvelle qui place désormais la police des pêches au cœur des missions des Forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC). La persévérance et la coopération régionale seront les clés de la réussite de ces opérations, dont le résultat ne pourra être apprécié que sur le long terme.
Depuis mai 2016, les opérations de lutte contre la pêche illicite se multiplient dans la zone économique exclusive (ZEE) de Nouvelle-Calédonie, à mesure que s’y intensifient les activités de pêche menées illégalement, notamment par des navires battant pavillon vietnamien. La police des pêches est ainsi devenue une mission de premier plan pour les moyens aériens et maritimes positionnés en Nouvelle-Calédonie. Mais cette mission ne se limite pas aux eaux territoriales françaises puisque les FANC veillent aussi à faire respecter la réglementation en matière de pêche dans les eaux internationales relevant de la zone de responsabilité permanente du commandant supérieur des FANC.
La police des pêches couvre des enjeux considérables. Elle assure la défense des intérêts économiques et environnementaux de la France, en préservant la filière pêche et en protégeant la ressource halieutique. Exigeant un travail de surveillance étroite de la zone économique exclusive (ZEE), la police des pêches concourt également à la défense maritime du territoire et au maintien de la souveraineté de l’État dans ses eaux.
Volet de l’action de l’État en mer, la police des pêches s’inscrit dans un cadre interministériel mobilisant les ministères de l’Intérieur, de l’Environnement, de la Justice et de l’Économie, et auquel contribuent les armées. En Nouvelle-Calédonie, cette mission est réalisée sous l’autorité du délégué du gouvernement pour l’action de l’État en mer, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie. Il est conseillé par le commandant de zone maritime (CZM) qui fait planifier et exécuter les actions en mer avec le concours des moyens des FANC et de l’ensemble des administrations qui opèrent en mer.
Une préoccupation majeure
La ZEE de Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna a toujours fait l’objet d’une surveillance maritime attentive pour veiller au respect de la réglementation en matière de pêche. Presque intégralement classée en aires marines protégées, ses 1,8 million de km2 sont le terrain de jeu d’une ressource halieutique très riche qu’il convient de préserver. Toutefois, depuis le printemps 2016, la lutte contre la pêche illicite y est devenue une préoccupation majeure du fait de la présence récente et massive de navires battant pavillon vietnamiens venant pêcher illégalement dans les eaux calédoniennes (la pêche y étant interdite aux navires étrangers, sauf dérogation).
Ces embarcations, surnommées « Blue boats » en raison de la couleur bleue de leurs coques, prennent la mer pendant plusieurs semaines pour transiter de leur pays d’origine vers les récifs calédoniens. Quittant leurs zones traditionnelles de pêche en mer de Chine méridionale, en raison de l’appauvrissement de ses eaux et de l’attitude ferme des pêcheurs chinois à leur égard, les « Blue boats » se dirigent de plus en plus vers le Sud du Pacifique, à mesure que les traitements répressifs infligés par les états côtiers se durcissent. L’intérêt financier justifierait les risques pris : les « Blue boats » viennent jusqu’en Nouvelle-Calédonie pêcher des holothuries, ces concombres de mer dont le prix de vente sur les marchés asiatiques peut atteindre jusqu’à 1 000 € le kilo.
Pour lutter contre ce phénomène, des opérations de police des pêches sont régulièrement menées. Baptisées UATIO, du nom d’une passe du Sud de la Nouvelle-Calédonie, elles sont entrées, fin avril, dans leur neuvième phase.
Comme pour toutes missions de police des pêches, la surveillance maritime est le point de départ de ces opérations. Elle s’effectue grâce aux moyens de la Marine nationale, par l’avion de surveillance maritime Gardian, la frégate de surveillance Vendémiaire, le bâtiment multi-missions D’Entrecasteaux et les patrouilleurs La Glorieuse et La Moqueuse. Ces moyens sont parfois renforcés par l’avion tactique de transport Casa de l’armée de l’Air et la vedette côtière de surveillance maritime Dumbéa de la Gendarmerie maritime. Cependant, la surveillance maritime ne se limite pas à l’emploi de moyens militaires : l’utilisation de l’imagerie satellite Trimaran et la contribution des usagers de la mer (pêcheurs, administrations opérant en mer…) ont également leur rôle à jouer.
Une coopération régionale essentielle
À l’issue de ce travail de surveillance en mer, des navires de pêche peuvent être détectés. La police des pêches consiste alors à vérifier, par des interrogations et des inspections, que ces pêcheurs respectent la réglementation en vigueur dans la zone. En cas d’infraction, les navires sont arraisonnés.
Depuis mai 2016, quinze navires ont été arraisonnés ou déroutés et plus de 28 tonnes d’holothuries saisies dans la ZEE de Nouvelle-Calédonie.
Les unités de la Marine effectuent également des missions de police des pêches dans les eaux internationales qui relèvent de la zone de responsabilité permanente du commandant supérieur des FANC. Dans ces zones de haute mer, la police des pêches peut être assurée au cours de missions d’opportunité ou dans le cadre d’opérations avec les partenaires régionaux.
Les FANC participent ainsi, depuis plusieurs années, aux opérations Rai Balang, Kuru Kuru et Tui Moana, organisées sous couvert de l’Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique (FFA)(1), ainsi qu’aux opérations Nasse, dans le cadre du Quadilateral Defence Coordinating Group (QUAD)(2). Les navires délictueux se jouant des frontières maritimes, la coopération régionale est un paramètre essentiel de la lutte contre la pêche illicite dans la zone.
Récemment et en raison de la recrudescence de « Blue boats » vietnamiens dans les eaux du Pacifique, cette coopération régionale s’est intensifiée. Le CZM Nouvelle-Calédonie, le capitaine de vaisseau Jean-Louis Fournier, s’est ainsi rendu aux îles Salomon dans le cadre d’un séminaire entre États membres de la FFA, où la dimension régionale du phénomène a largement été partagée. Il a également rencontré à deux reprises les autorités du Maritime Border Command et de l’Australian Fisheries Management Authority, pour discuter d’une stratégie commune à la France et l’Australie pour lutter contre la pêche illicite.
L’intérêt de ce rapprochement entre voisins du Pacifique prend tout son sens sur le terrain. Entre le 22 mars et le 15 avril, une opération d’ampleur régionale a ainsi permis de mettre fin aux activités illicites d’une flottille entière de « Blue boats ». Le résultat de cette opération souligne l’efficacité d’une collaboration entre pays frontaliers : l’ensemble des navires de cette flottille se trouve désormais dans les ports d’Honiara, Cairns et Nouméa, ou ont quitté nos ZEE respectives.
La Dumbéa intercepte des « Blue boats ».
ASP Camille Poli
(1) La Forum Fisheries Agency (Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique) a été créée en 1979 par les États membres du Forum des îles du Pacifique dans le but de gérer, surveiller, protéger et développer leurs ressources marines, en particulier les espèces migratoires (les thonidés).
(2) Le Quadilateral Defense Coordinating Group est une organisation régionale regroupant la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Créée en 1992, elle vise à offrir à ses pays membres un espace de concertation en matière de coopération et de défense.