« L’outil de formation de la Marine est un trésor »
Le contre-amiral Nicolas Bezou est, depuis septembre 2017, adjoint au directeur du personnel militaire de la Marine, et en charge du recrutement et de la formation de l’ensemble des marins. Il nous présente ici les défis de la génération de compétences.
Cols Bleus : Quelle est la place de la formation dans la politique des ressources humaines (RH) de la Marine ? Quelle est sa singularité ?
CA Nicolas Bezou : La génération de compétences commence au recrutement et se poursuit par la formation et la mobilité fonctionnelle dans les emplois occupés. Elle n’est pas uniquement liée à la phase de formation mais est bien le fruit d’un continuum cohérent sur l’ensemble de la carrière. La capacité de la Marine à répondre à l’ensemble de ses missions repose avant tout sur les compétences des marins qui la servent. Un grand nombre de ces compétences est propre à la Marine et nécessite donc une formation élaborée et dispensée uniquement en son sein. C’est le cas par exemple du cursus d’atomicien ou encore des cursus embarqués qui n’existent pas dans le civil ou au sein d’entreprises privées car ils correspondent à des métiers spécifiques à la Marine.
Nous opérons dans les quatre milieux, en surface, sous la mer, sur terre et dans les airs, et désormais dans le domaine cyber avec des équipements de plus en plus complexes sur un nombre significatif de plateformes marquées par un grand écart générationnel (frégates FREMM et F70, futurs sous-marinsBarracuda et Rubis, hélicoptères Caïman et Alouette III).
Une formation initiale solide est donc indispensable. Elle vise à donner aux jeunes marins le socle des compétences, savoir-faire mais surtout savoir-être, leur permettant de s’intégrer efficacement à l’équipage. C’est à partir de ce socle qu’ils bâtiront ensuite leur progression professionnelle dans un métier, une spécialité par la formation dite de « cursus ».
CB : En 2018, les défis de la génération de compétences ont-ils changé ?
CA N. B. : Les fondamentaux n’ont pas changé. En revanche, à la suite des attentats de 2015, le contexte a clairement évolué pour les armées, tandis que le monde et nos sociétés sont en perpétuel mouvement, sous l’effet des évolutions technologiques et sociétales.
Depuis 2015, la Marine connaît une stabilisation de ses effectifs, voire une légère augmentation, après une longue période de déflation continue. Cette évolution positive se traduit par une augmentation des flux de recrutement (environ 3 500/an) et donc de l’effort de formation dans nos écoles, alors que le dispositif et les formations délivrées avaient été optimisés au maximum.
Parallèlement, les équipements que nous mettons en œuvre et le profil des jeunes que nous recrutons évoluent. Il faut constamment adapter nos outils et nos méthodes au nouveau contexte et anticiper les besoins futurs, tout en restant fidèle au principe suivant : délivrer la formation au juste besoin et au bon moment.
La montée en compétences d’un marin est, en effet, le fruit d’une alternance cohérente entre périodes de formation et emploi dans les unités.
Au-delà de la formation et de la progression professionnelle offertes aux marins, l’un des défis à relever est celui de la fidélisation car la montée en compétences s’effectue sur le long terme. Il faut des années pour « fabriquer » un technicien de bon niveau, plus d’une décennie, voire deux pour « fabriquer » un expert.
Conserver les compétences dont nous avons besoin, dans un marché du travail qui connaît une réelle dynamique et est friand de techniciens, constitue un enjeu majeur.
CB : Comment le dispositif de formation évolue-t-il ? Quels sont les grands projets à venir pour y répondre ?
CA N. B. : Le dispositif de formation est vivant et en constante adaptation : ouverture d’une antenne de l’École des mousses à Cherbourg en septembre 2016, réforme des statuts de l’École navale au 1er janvier 2017, création à la rentrée 2018 d’une antenne de l’École de maistrance à Saint-Mandrier. Enfin, nous expérimentons un accès plus rapide au brevet supérieur (BS) pour certaines spécialités ciblées. Ce « BS ab-initio » permettra, si la pertinence en est confirmée, aux jeunes issus du recrutement externe disposant d’un fort potentiel de bénéficier d’un cursus accéléré.
Pour déterminer les adaptations nécessaires, les écoles mènent actuellement une réflexion sous la houlette du PEM (Pôle Écoles Méditerranée), dans le cadre du mandat « pédagogie 2025 ». Il s’agit de faire évoluer les approches pédagogiques en utilisant, quand c’est pertinent, les possibilités offertes par les nouvelles technologies et d’armer encore mieux nos instructeurs, acteurs clés de la transmission des savoirs, savoir-faire et savoir-être.
La mise en place de nombreux partenariats avec l’Éducation nationale vise à nous adosser davantage à des formations déjà dispensées dans le monde civil, afin de mieux les exploiter et ainsi de limiter les temps de formation technique pour se concentrer davantage sur l’adaptation au métier de marin et sur la spécialisation avant de partir en unité.
L’objectif est bien de dynamiser notre système de génération de compétences pour répondre aux besoins de la Marine et aux attentes des marins qui la composent.
© DAVID PUJO/AA - Un instructeur explique les manoeuvres de vol lors d’un briefing avec un élève pilote à l’École de l’aéronautique navale (EAN).
CB : Au-delà du maintien des capacités opérationnelles des forces, la formation dans la Marine constitue-t-elle également un atout pour le recrutement ?
CA N. B. : Oui bien sûr, la Marine offre bien plus qu’un emploi aux jeunes qui poussent la porte des Cirfa (Centre d’information et de recrutement des forces armées), puisque nous leur proposons de rejoindre l’équipage(1) en adoptant un mode de vie et un métier hors du commun. Nous recrutons, nous formons et nous donnons ainsi à ces jeunes des perspectives de carrières intéressantes et valorisantes dans des domaines extrêmement variés. Nous leur proposons une aventure collective, une vie exigeante mais qui a du sens. Pour la première fois depuis la réouverture de l’École des mousses en 2009, un ancien élève mousse a été sélectionné au BS. La Marine donne l’occasion à ces jeunes recrues d’apprendre un métier, de développer leurs talents, jusqu’à atteindre un niveau de spécialisation élevé.
CB : Amiral, quelle est la perception du marin sur le marché de l’emploi dans le monde civil, comment la formation marine est-elle considérée ?
CA N. B. : Globalement les marins sont très prisés à l’extérieur grâce à leur savoir-faire mais aussi leur savoir-être : rigueur, sens de l’engagement, polyvalence, adaptabilité et sens de l’action collective. Ainsi les marins accompagnés par l’agence de reconversion de la Défense (ARD) mettent 4 mois en moyenne pour s’insérer sur le marché de l’emploi. La politique dynamique de validation des acquis de l’expérience(2) (VAE) pratiquée par la Marine est un atout supplémentaire pour aider à la reconversion des marins.
Toutefois, quel que soit le niveau du marin, une reconversion se prépare avec un préavis significatif car la transition professionnelle entre la Marine et le monde civil implique l’appréhension d’un nouveau contexte, voire de nouvelles règles.
En conclusion, l’outil de formation de la Marine est un trésor, une mécanique de précision qui contribue de façon primordiale à sa capacité opérationnelle.
1. Référence à l’un des messages de la nouvelle campagne de recrutement de la Marine lancée en janvier 2018 : « La Marine recrute, rejoignez l’équipage sur êtremarin.fr ».
2. La VAE permet aux marins de faire valoir les compétences acquises par l’obtention de diplômes civils, via le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
À retenir
> Pour générer les compétences indispensables au maintien des opérations, la Marine travaille en trois temps :
• en amont du recrutement : les partenariats avec l’Éducation nationale permettent d’amariner et de former des jeunes aux compétences techniques qui constitueront une base de savoir au moment de leur entrée dans la Marine ;
• après le recrutement par la formation initiale ;
• tout au long de la carrière du marin grâce à une formation continue.
> Chaque année, 10 % des effectifs de la Marine sont renouvelés.
> Les projets pour faire évoluer la formation en 2018 : mandat « pédagogie 2025 » pour optimiser la transmission des savoirs ; nouvelle antenne de l’École de maistrance à Saint-Mandrier ; expérimentation de l’accès accéléré au brevet supérieur.