« Être prêts au retour à la mer du porte-avions Charles de Gaulle »
Cols Bleus : Amiral, pouvez-vous nous présenter le déploiement Chesapeake dans la manœuvre de remontée en puissance du GAé. Dans quel contexte est-il réalisé et pour quoi faire ?
CA GUILLAUME GOUTAY : Le déploiement Chesapeake est réalisé pendant la refonte à mi-vie du porte-avions Charles de Gaulle. Le Groupe aérien embarqué (GAé) doit entretenir ses compétences afin que la formidable chaîne humaine qu’il constitue puisse être pleinement disponible dès le retour à la mer du bâtiment.
Car le GAé, c’est avant tout un équipage, constitué de techniciens, pilotes, préparateurs de missions, armuriers, qui comme tout équipage lorsqu’il n’embarque pas, doit maintenir son expertise dans l’objectif de mener à bien les missions qui lui seront confiées.
Pendant les 18 mois de travaux du porte-avions, les flottilles de chasse de l’aéronautique navale (11F, 12F, 17F) sont restées sur la brèche : entraînements quotidiens depuis la base d’aéronautique navale (BAN) de Landivisiau, participation à des exercices majeurs comme le Tiger Meet, soutien à la permanence opérationnelle aux côtés de l’armée de l’Air. Six mois d’engagement dans l’opération Chammal depuis la base aérienne projetée en Jordanie, avec leurs frères d’armes aviateurs, ont également permis de poursuivre la lutte contre Daesh au sein de la coalition. Dans le même temps, la flottille 17F achève sa transformation sur Rafale Marine débutée en septembre 2016. Elle sera prête au combat pour la reprise d’activité du GAN, une belle performance ! Et la flottille 4F travaille à la modernisation des capacités du Hawkeye et au maintien de son très haut niveau d’expertise au cœur des opérations aériennes.
Reste néanmoins les savoir-faire spécifiques liés à la mise en œuvre depuis le porte-avions, catapultages et appontages, que les marins du GAé et du Charles de Gaulle doivent conserver. Des exercices ont été organisés à Landivisiau dans le but de maintenir ces savoir-faire « chirurgicaux » : 4 semaines de « Carrier Weeks » ont permis au personnel du pont d’envol de s’exercer à la mise en œuvre des avions sur une zone reproduisant les dimensions du porte-avions. Puis des séances d’ASSP (appontage simulé sur piste) ont permis d’entraîner pilotes et officiers d’appontages, de jour et de nuit, à cet exercice de pilotage particulièrement exigeant. Il s’agit, après une mission intense et souvent longue, de recueillir à bord le pilote et son Rafale, les faisant passer de 240 à 0 km/h, en moins de 100 mètres, sur une plateforme en mouvement.
C’est donc pour reprendre l’enchaînement complet de ces manœuvres minutieuses et afin de préparer la reprise d’activités du porte-avions que, pendant 2 mois, 350 marins du GAé et du porte-avions ont mis en œuvre 13 appareils (12 Rafale Marine et 1 Hawkeye) aux États-Unis, sur les Naval Air Station d’Oceana et Chambers près de Norfolk, et sur le porte-avions USS George H. W. Bush.
CB : Pourquoi entreprendre un tel déploiement, aussi loin, avec les Américains ?
Ca G. G. : Si nous nous sommes déployés de l’autre côté de l’Atlantique, c’est parce que les États-Unis sont la seule nation à posséder, comme nous, des porte-avions à catapultes et brins d’arrêt. Nous bénéficions donc de l’excellent niveau de coopération militaire qui unit nos deux nations afin d’entraîner nos équipages, comme nous l’avions fait en 2008, mais dans une moindre proportion.
Chesapeake, c’est avant tout le témoignage très fort de la confiance mutuelle entre nos deux marines et, plus particulièrement, entre nos deux aéronautiques navales. La mise à disposition pendant 12 jours d’un porte-avions nucléaire américain et de son GAé pour entraîner nos équipes, est un message fort. C’est la reconnaissance ultime de nos exceptionnelles performances techniques et humaines dans les opérations de projection de puissance. Chesapeake est à l’image de la coopération étroite qui unit nos deux marines, dont chaque lecteur reconnaîtra les signes tangibles dans les engagements opérationnels de ces dernières années.
CB : En quoi ce déploiement est-il inédit ?
Ca G. G. : Chesapeake, c’est aussi un déploiement d’une ampleur et d’une durée inégalée dans l’histoire de l’aéronautique navale. Près de 2 ans de préparation ont été nécessaires pour projeter à plus de 6 500 km de la France, 12 Rafale Marine et 1 Hawkeye avec leurs équipages. Si l’on compare à ce qui avait été réalisé en 2008, nous avons doublé le format : nombre d’appareils et marins déployés, nombre et types d’exercices réalisés avec les Américains, mais aussi la durée sur place et à bord du porte-avions. L’activité a donc été particulièrement dense : 180 exercices et missions d’entraînement (soutien des troupes au sol, attaque et défense de bâtiments, recherche de cibles, bombardement, combat aérien, défense de zone, raid dans la profondeur…) ont été réa-
lisés de jour comme de nuit, permettant aux marins du GAé d’entretenir et parfaire le très haut niveau d’interopérabilité avec la première marine au monde.
CB : Quels sont les enjeux du déploiement ?
Ca G. G. : Chesapeake, c’est enfin une projection préparée comme une opération. Au-delà de la taille conséquente du déploiement, de sa durée inégalée et la richesse de l’activité, il a tout d’abord fallu traverser l’Atlantique avec nos avions et nos équipages. Une telle opération ne peut se concevoir sans le soutien des autres armées et des pays partenaires. Pour ce faire, nous avons bénéficié entre autres du concours de l’armée de l’Air, qui a permis, grâce à ses avions ravitailleurs, de faire traverser l’Atlantique à nos Rafale Marine, mais aussi celui de nations partenaires qui ont accueilli le Hawkeye sur le transit. Je souligne également les aspects logistiques, humains ou encore la manœuvre SIC pour lesquels la mobilisation des services de nos armées a été totale.
Sans ce soutien et cette coopération, un tel déploiement n’aurait jamais pu voir le jour. Qu’il s’agisse des armées françaises ou étrangères partenaires et en particulier de nos frères d’armes américains, tous nous ont accompagné dans cette mission dont l’enjeu est considérable pour notre Marine.
Mais Chesapeake n’est pas une fin en soi, cette mission marque le point d’orgue du processus de remontée en puissance qui se verra définitivement confirmé après la mise en condition opérationnelle (MECO) du bâtiment et les EAÉ (école de l’aviation embarquée) au cours desquelles l’ensemble des pilotes sera définitivement confirmé à l’appontage. Ce déploiement, comme l’ensemble des manœuvres entreprises à ce jour et pour encore quelques mois, vise un seul objectif : être prêts au retour à la mer du porte-avions Charles de Gaulle.
Propos recueillis par le LV Clémence Festal