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« Porter assistance aux marins en mer, cela fait partie de notre ADN »

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Dans le cadre de la journée nationale des sauveteurs en mer qui se déroule ce 23 juin, Cols Bleus est allé à la rencontre d’un membre de la SNSM*, et pas n’importe lequel : Didier Deschamps, l’homonyme parfait du sélectionneur de l’équipe de France de football. Patron de la vedette Jacques le Boulangerà la station de Dinard, cet ancien électromécanicien aéronaval dévoile son métier, qu’il exerce avec passion depuis 26 ans.

En quoi consiste le métier de sauveteur en mer ?

C’est plus qu’un métier, c’est une passion puisque nous sommes tous bénévoles. Pour une station comme Dinard, nous avons 2 bateaux (une vedette de 2e classe qui peut sortir jusqu’à force 7 à 8 et un Zodiac de 6 mètres). La majorité de nos interventions est l’assistance à personnes en mer, des remorquages après des avaries et un peu de sauvetage côtier. On intervient au-delà de la « bande des 300 mètres ». Par exemple, nous allons intervenir sur un bateau qui s’empale sur les cailloux car les pompiers n’ont pas le matériel nécessaire. Pour résumer, le but premier et de sauver et récupérer les gens puis, si on le peut, de ramener leur embarcation.

Depuis quand êtes-vous bénévole à la station ?

J’ai commencé à la station en 1992. Je suis natif du coin. Je ne suis pas rentré directement patron de vedette, du moins pas la première année. À l’époque, Dinard était une station « saisonnière », armée 4 mois dans l’année. Depuis 18 ans, elle est passée station « permanente », de jour et de nuit ce qui demande plus de personnel. Le président établit l’équipage (un patron et 3 sauveteurs) en fonction des disponibilités de chacun. A l’époque, le bateau faisait à peine 8 mètres, nous partions à deux en intervention. Maintenant, ça n’a rien à voir ! En 26 ans, la SNSM a bien évolué. Depuis que je suis là, c’est la 4e vedette que je connais.

J’ai eu une carrière dans la Marine nationale et l’aéronautique navale, où j’étais affecté dans le Finistère et le Morbihan. J’ai quitté la Marine pour embarquer sur un patrouilleur des affaires maritimes à Cherbourg. L’une des missions, en plus des contrôles, était le sauvetage en mer, de bateaux. Le patrouilleur était constamment armé à quai pour être prêt à partir à n’importe quel moment. Deux équipages se relayaient. J’avais donc une semaine de libre. Un peu par hasard, une personne qui rénovait ma maison faisait partie de la SNSM et m’en a parlé. C’est comme cela que je me suis présenté. Et cela fait 26 ans que ça dure !

Vous ne vouliez pas perdre votre côté marin, cela vous permet de rester au contact de l’eau...

Bien sûr ! Je suis fils de marin, petit-fils de marin... Je suis rentré un peu par hasard aux affaires maritimes, mais ça me permettait de rester au contact de la mer, de naviguer. A côté de ça je fais du bateau depuis l’âge de 15 ans. S’il n’y a pas d’eau près de moi, au bout d’un certain temps, ça commence à me manquer ! J’adore la campagne et la montagne, mais il me faut la mer.

Et j’ai été quand même dans la Marine nationale de 1972 à 1989 ! Je suis rentré jeune, à 16 ans et 3 mois, dans un cours pour les apprentis mécaniciens à Saint-Mandrier. Par la suite, j’ai fait l’école de l’aéronautique navale à Rochefort (désormais à Cognac, ndlr). Même si cette branche est à part, j’embarquais sur les porte-avions, j’étais affecté en flottille de chasse.

Justement, quels souvenirs en gardez-vous ?

J’étais électromécanicien aéronaval. A l’époque, ce métier était scindé en deux spécialités : une qui s’occupait des équipements de bord et de la navigation ; une autre de l’électronique et l’électrique sur les armes des bateaux et avions. C’était intéressant, technique et très pointu. En plus, on ne s’occupait pas que des armes (maintenance électrique et électronique liée à l’avion et à l’arme). J’ai commencé par des missions d’entretien sur des Alizé et des Fouga Magister. Ensuite, je me suis retrouvé en flottille de chasse à Landivisiau. C’était la fin des Étendard. J’ai intégré la flottille 11F, la première à avoir les Super Étendard. Nous avions passé 3 mois chez Dassault pour comprendre son fonctionnement : c’était un avion complètement nouveau, il y avait un gros saut technologique au niveau électrique et électronique. J’ai effectué mes troisdernières années à Landivisiau, en service base. J’étais responsable d’un atelier qui s’occupait de l’entretien des points d’emport sur les avions (bombes, canons, missiles). Au total, j’ai passé 10 ans en flottille embarquée.

« J’aimais bien le côté technique de mon métier »

Avez-vous participé à des missions particulières ?

J’ai fait le Liban début 1983. Nous étions au large de la Libye peu de temps après. Mais je n’étais pas présent physiquement lors des conflits dans le golfe Arabo-Persique. Je suis passé dans beaucoup de pays méditerranéens grâce aux porte-avions. J’ai été jusqu’à l’Ile Maurice, en Inde... J’avais fait une mission à Djibouti, à l’époque où il est devenu indépendant. Nous étions partis pour 2 mois, on a finalement fait 7 mois ! On était bien content de rentrer.

J’ai quitté la Marine progressivement. La famille se construisant, j’avais besoin de stabilité. Cela faisait 13 ans que j’étais affecté. J’avais de grandes chances de rester en flottille embarquée mais je n’avais pas envie de déménager. Je suis parti en étant premier maître. J’aurais bien voulu être « volant » (électromécanicien sur les Atlantique), mais je n’avais pas une bonne vision en relief.

En tirez-vous une bonne expérience ?

Très bonne ! J’aimais bien le côté technique de mon métier, je travaillais avec du matériel de pointe. Nous nous occupions de la maintenance des sièges éjectables dans les avions. Normalement, c’étaient les mécanos qui géraient mais comme il y avait de plus en plus de systèmes électriques dessus, les « boom » devaient gérer.

Il y a aussi l’ambiance. J’ai eu la chance d’être exclusivement dans des petites équipes. Tout le monde se connaît et embarque en même temps. Il y a un certain esprit de cohésion. Cela nous apprend à vivre en communauté.

Cette expérience acquise dans la Marine vous sert-elle aujourd’hui à la SNSM ?

Oui, notamment pour l’esprit d’équipe. Quand nous partons en sauvetage avec la vedette, nous sommes 4 à 5 à bord. Il faut que chacun sache ce qu’il a à faire. Tout le monde est à peu près polyvalent mais chaque membre a sa spécialité (médecin, plongeur, mécanicien). Nous sommes trois anciens de la Marine (dont un sous-marinier et un fusilier-commando plongeur). Quelqu’un issu du civil ne sera pas confronté aux mêmes contraintes que l’on rencontre dans la Marine. Même si nous ne sortons jamais très longtemps sur la vedette. En effet, il est rare que cela dépasse une demi-journée, hormis lorsque l’on recherche des gens disparus. Notre rayon d’intervention permet d’être sur zone en moins d’une heure, sauf si l’on remorque un bateau.

Quelles qualités faut-il avoir pour être un bon sauveteur ?

Je pense qu’il faut déjà aimer et connaître la mer. Un sauveteur doit avoir un minimum de connaissances, même si tout s’apprend. Surtout, nous devons conserver un certain esprit d’équipe, pour sentir que l’on peut chacun compter sur les autres. En somme, être solidaire tout le temps. Il faut aussi avoir « l’instinct maritime ». Quelqu’un qui connaît la mer pour mieux interpréter le vent, les courants, les vagues... La pratique fait le reste.

« Il faut être raisonnable, on ne sera jamais aussi fort que la mer »

Quelles sensations procure le fait d’être patron d’une vedette ?

Rien de spécial ! J’avais les permis qui allaient bien pour pouvoir faire ça. J’ai toujours bien aimé manœuvrer les bateaux, que ce soit celui-là ou mon voilier. Porter assistance aux marins en mer, ça fait partie de l’ADN. C’est valorisant. Au final, c’est une histoire de camaraderie. C’est ce que j’ai un peu connu et appris dans la Marine. Ça en découle plus ou moins indirectement.

Quelles valeurs acquises dans la Marine vous servent actuellement ?

L’humilité, car en mer nous ne sommes jamais gagnant. C’est la mer qui décide, il faut s’adapter. La rigueur également. Dans le bateau, tout est rangé, tout doit être à sa place. Comme dans la Marine, où tout est codifié en particulier dans l’armement, où il y a des procédures très strictes pour tout ce qui est dangereux. Cela nous apprend. Sur l’équipage de Dinard (34 personnes), la plupart des sauveteurs sont des gens qui ont une passion de la mer. Il faut leur « inculquer » cet esprit de cohésion et de rigueur.

Comme votre homonyme sélectionneur de l’équipe de France de football, êtes-vous amené à faire des choix, donner des ordres ?

Quand nous sommes en mer et en intervention, il faut tout chapeauter, cela fait partie du boulot : dire à chaque membre d’équipage quel poste il va tenir en fonction de ses compétences ; expliquer la manœuvre de façon à ce que chacun prenne sa place, prépare le matériel... Dans un autre domaine, quand il faut recruter des gens dans la station, il y a des desiderata. Nous les choisissons au départ. Il faut que ça leur plaise, et qu’ils nous plaisent aussi. Ils doivent accepter les contraintes d’astreintes, de recevoir des ordres, entretenir le matériel, suivre des formations spécifiques... Il faut suivre tout cela, afin que tout le monde soit à jour.

Quels sont les moments les plus durs en mer ?

C’est quand nous récupérons des personnes décédées. Cela m’est arrivé plusieurs fois aux affaires maritimes et deux fois en 26 ans dont une l’année dernière à Dinard. Ce sont des moments délicats, nous ne sommes pas insensibles. Surtout si ce sont de jeunes personnes, c’est encore plus dur.

Quand vous voyez la mer démontée et qu’il y a un sauvetage à réaliser, que ressentez-vous à ce moment précis ?

Il y a quand même une petite angoisse. Nous savons que l’assistance va être beaucoup plus compliquée que prévue. Le risque est toujours calculé. Si un jour on nous demande de sortir et qu’on s’aperçoit que les conditions sont trop difficiles au large ou que ça peut mettre la vie de l’équipage en jeu, on fait demi-tour. Un autre bateau viendra. Il faut être raisonnable. Nous ne sommes jamais à l’abri et on ne sera jamais aussi fort que la mer.

« On va faire confiance au sélectionneur ! »

Etes-vous amené à collaborer avec la Marine ?

Pas vraiment à Dinard, mais d’autres stations sont en contact régulier avec les hélicoptères de la Marine. On requiert davantage l’intervention du Dragon 50, un hélicoptère de la sécurité civile basé à Granville, qui couvre la Manche et l’Ille-et-Vilaine. Ce n’est pas l’armée, mais c’est le même principe et la même rigueur. Nous nous entraînons une fois par mois avec eux, de jour comme de nuit. Je me souviens d’un entraînement la nuit au large d’une île, avec une mer à 7, c’était chaud ! On avait du mal à aller à plus de 8 nœuds. Mais nous pourrions travailler avec la Marine. Il suffirait qu’un gros navire soit en difficulté et toute « la cavalerie » interviendrait.

L’autre lien avec la Marine, c’est le CROSS (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) (Corsen pour Dinard) et les sémaphores. Nous travaillons beaucoup avec celui de Saint-Cast-le-Guildo. À chaque fois que nous sortons en mer, nous prévenons toujours le CROSS et le sémaphore. Nous nous y rendons de temps en temps pour comprendre leur fonctionnement. C’est une complémentarité.

Vous embête-t-on avec Didier Deschamps ?

Je suis souvent taquiné, alors que je ne suis pas du tout footeux ! La première fois que l’on m’a parlé de « ce » Didier Deschamps, c’est au moment où je construisais ma maison en 1991. A l’époque, il devait jouer dans un grand club (à l’Olympique de Marseille, ndlr), il n’était pas encore champion du monde. Les ouvriers pensaient qu’ils allaient tomber sur lui ! Je me souviens d’avoir toujours eu une petite remarque au téléphone, les enfants des copains... Je ne signais pas d’autographes pour autant, même si j’aurais pu !

Allez-vous suivre la coupe du monde ?

Je regarderai sûrement les matchs à enjeu, comme en 1998, mais comme je ne suis pas un spécialiste, je ne les regarderai pas tous, du moins pas les premiers. C’est toujours bien l’esprit sportif à un certain niveau, de voir une équipe arriver en haut, je ne sais pas où arrivera l’équipe de France...

Avez-vous un pronostic ?

Ce serait très bien d’être champion du monde 20 ans après ! Je ne connais pas suffisamment l’équipe, mais on va faire confiance au sélectionneur (rires) ! S’il est rigoureux comme on l’est dans la Marine ou la SNSM, et je pense qu’il l’est, ça devrait le faire. Ce n’est pas facile de manager tout un groupe, un staff, gérer la cohésion et la pression médiatique autour. Ça n’a rien à voir avec ce qu’on vit ici. Comme on dit, on est « à l’ombre », personne ne nous voit. Allez on sera champion !

* SNSM : Société nationale de sauvetage en mer

Pour naviguer plus loin :

Le sauvetage en mer


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