Pour conserver son ascendant dans les opérations et faciliter la vie quotidienne de ses équipages, la Marine de 2030 se doit d’être moderne et innovante. La multiplication des nouvelles menaces appelle en effet à développer de nouveaux outils, notamment l’intelligence artificielle ou les drones, dont chaque bâtiment et sémaphore sera équipé. Une meilleure connectivité facilitera le quotidien des marins, leur permettant d’accéder aux ressources en ligne depuis leurs propres ordinateurs ou smartphones. L’innovation devient l’affaire de tous grâce à la mise en place, dans les grandes unités, de Navyl@b, espace à la disposition de marins qui souhaitent structurer et développer leurs idées.
Le Hackathon, une forme d’innovation
Pour bénéficier des dernières recherches et innovations, la Marine s’ouvre au monde civil. Depuis deux ans, elle organise avec Thales, 42 et Matrice, un hackathon qui donne à de jeunes développeurs l’opportunité d’imaginer la surveillance maritime de demain. À partir de cas concrets opérationnels, ils réfléchissent à la façon dont l’intelligence artificielle peut améliorer les performances. Au printemps 2018, les participants ont ainsi travaillé à la conception d’un cloud au profit des usagers de la mer. Les solutions qui ont émergé seront développées. Elles pourraient permettre de rassembler de nouvelles données et de les trier de manière intelligente, pour améliorer la tenue de situation maritime.
Marine et Big data
CV Laurent, officier de cohérence des armées à l’état-major de la Marine (EMM)
À quel scénario un bâtiment pourrait-il être confronté en 2030 ?
Nous sommes en 2030, en zone de crise. La frégate multi-missions (FREMM) Lorraine est déployée. Ce bâtiment de premier rang figure parmi les fleurons de la Marine, avec les frégates de taille intermédiaire (FTI), les frégates de défense aérienne (FDA) rénovées ou les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de type Suffren.
Son drone tactique embarqué SDAM (système de drone aérien marine) vient de détecter deux aéronefs suspects menaçants pour le Chevalier Paul qui navigue à quelques nautiques. Grâce à la veille coopérative navale (VCN), ces échos furtifs ont été suivis en continu par la force. Les sonars UBF (ultra basses fréquences) ont aussi détecté à grande distance un sous-marin ennemi. La force maîtrise son environnement, au-dessus et sous la mer.
Cette supériorité informationnelle donne un coup d’avance. Depuis le central opérations, la situation tactique est élaborée à l’aide du système d’information des armées (SIA) intégrant des technologies de swarm computing (intelligence distribuée). Le big data permet de traiter un très grand nombre de données et d’analyser le cloud maritime. L’intelligence artificielle va aider à hiérarchiser la situation tactique et à valoriser l’information pertinente pour que l’opérateur dans la boucle prenne la bonne décision. Afin de s’assurer que la Lorraine est prête, le commandant demande un point de situation au commandant adjoint navire (COMANAV) depuis son smartphone connecté au réseau bord. L’ordre apparaît sur les montres connectées du groupement navire, et notamment sur celle du second maître M.. Alors que c’est la première fois qu’il embarque sur une FREMM, son entraînement en réalité virtuelle et augmentée sur le simulateur de la base navale lui a permis d’être immédiatement opérationnel. Sur les écrans, le système de maintien en condition opérationnelle (MCO) prédictif permet d’anticiper certaines opérations de maintenance pour optimiser la disponibilité du bâtiment et de ses équipements. Si nécessaire, l’imprimante 3D embarquée réalisera une pièce de rechange qui ne serait pas disponible à bord, afin d’éviter un long acheminement de métropole. Le contrôleur des capacités opérationnelles (CCO) rend compte au commandant : FREMM Lorraine parée !
L’enjeu du numérique
Navyl@b par le CF Camille
La Marine de 2030 sera une marine en pointe, innovante et profondément modernisée, qui mise sur la transformation numérique pour évoluer avec son temps. 2030 vous paraît un horizon encore lointain, pourtant, cette transformation se prépare dès à présent. Le numérique est employé comme un levier du développement de l’agilité, gage d’une adaptation permanente à un environnement en constante évolution.
À ce titre, la Marine vient de créer le Navyl@b, qui a vocation à encourager l’émergence et la mise en œuvre d’innovations conçues par les marins. Une fois le besoin validé, le centre d’expertise des programmes navals (CEPN) aide les concepteurs à s’ouvrir au monde civil des écoles, des incubateurs et des start-ups, les soutenant tout au long du processus de maquettage. Ce travail dans le domaine de l’innovation numérique doit notamment permettre d’inscrire les projets dans l’écosystème du système d’information des armées (SIA). Grâce à un premier « bac à sable » déployé durant la mission Jeanne d’Arc 2018, les marins ont dès à présent la possibilité de proposer et concevoir des solutions répondant plus efficacement à leurs besoins immédiats. Un membre de l’équipe des systèmes d’information et de communications (SIC) du Dixmude a ainsi imaginé une application utilisable pour faciliter la gestion des ressortissants accueillis lors d’opérations d’évacuation Resevac. Elle accélère la phase d’enregistrement, permet un suivi plus individualisé et évite les doubles saisies. De quoi donner un sacré coup de pouce aux équipages en opérations !
Focus
Projetons-nous en 2030 : quelle place pour les drones ? Par le CF Pierre, officier de programme à l’EMM
Dans les airs, sur les flots ou sous la mer, les drones font partie intégrante du quotidien des marins. Après des années de développement puis de déploiement, ils sont partout. Leur emploi permet de gagner en discrétion pour pénétrer les espaces contestés et recueillir de l’information.
Peu encombrant, le drone aérien a su trouver sa place sur l’ensemble des bâtiments de la Marine de 2030. Il est stocké dans le hangar, aux côtés de l’hélicoptère du bord, et même sur les bâtiments ne disposant pas d’une plateforme spécifique. Bien sûr, les appareils ont des caractéristiques variables en fonction des unités qui les accueillent. Pesant plusieurs centaines de kilos, le SDAM(1)équipe les frégates, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) et les patrouilleurs affectés en métropole ou outre-mer. Grâce à son radar et à son capteur optronique, il est capable d’établir la situation tactique jusqu’à une centaine de nautiques. C’est aussi un relais radio qui peut assurer un contact permanent avec une embarcation relativement éloignée du bord.
Son endurance supérieure à 10 heures permet à tout moment à la frégate de délivrer une arme à sa portée maximale si la situation l’exige. Les autres bâtiments mettent quant à eux en œuvre un mini-drone mono senseur de moins de 30 kilos. Celui-ci fait office de jumelles déportées : il permet d’identifier, de tenir un contact et d’apporter son soutien à une action d’intervention par d’autres moyens.
Les unités basées à terre ont aussi leurs drones aériens. Opérés depuis la base de Lann-Bihoué, les premiers MALE (Moyenne altitude longue endurance) sont en mesure d’établir la situation tactique sur une zone maritime étendue, en complément des avions de patrouille. Avec la multiplication des micro-drones, chaque groupement de fusiliers marins dispose également d’un moyen de surveillance et d’appui à l’intervention. Quant aux commandos, ils sont désormais rompus à la mise en œuvre de toute une gamme de drones répondant à leurs besoins spécifiques.
En 2030, les drones sont aussi à la surface et sous l’eau. Dans le domaine hydrographique, ils permettent d’accroître la sécurité de l’équipage.
Finies les longues heures passées dans des vedettes à effectuer des relevés par mer formée : l’opérateur guide l’appareil, depuis son bâtiment de nouvelle génération.
Parallèlement, la composante de guerre des mines est entièrement renouvelée par l’emploi de bâtiments spécialisés mettant en œuvre des systèmes de drones de surface et sous-marins. L’équipage du bâtiment de guerre des mines, qui opère à une distance accrue de la menace « mine », met en œuvre un savoir-faire technique très pointu pour la planification des missions et la conduite des systèmes de drones. Tandis que les drones sous-marins naviguent en autonomie pour couvrir les « zones de chasse », un robot télé-opéré par le personnel de quart au central opérations (CO) permet de réaliser à distance une identification visuelle des contacts. En opération extérieure, la chasse aux mines se fait plus discrètement en réduisant la silhouette et les vulnérabilités à proximité des côtes non sûres. Les savoir-faire traditionnels ne sont pas oubliés et sont toujours employés dans les opérations courantes pour liquider les « restes explosifs de guerre » ou pour intervenir dans le cadre de l’action de l’État en mer, avec une efficacité augmentée par une nouvelle combinaison hommes-machines.
(1) Système de drone aérien de la Marine.