Depuis 1983, date de la première expérimentation d’embarquement de femmes volontaires, la Marine n’a cessé de féminiser ses équipages. Elle compte aujourd’hui 5 400 femmes, qui représentent 14 % des marins et 9 % des effectifs embarqués. Le nombre de bâtiments pouvant accueillir un équipage mixte est en constante augmentation : aujourd’hui plus de 90 % des bâtiments de la Marine voient des femmes affectées à leur bord. Cette féminisation se poursuit avec la récente ouverture aux femmes des équipages de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Elle continuera de tenir une place importante dans le futur. En effet, l’objectif fixé à l’horizon 2030 est une augmentation de 50 % de la part des femmes dans la Marine.
Témoignage
Amiral, vous avez été l’une des premières femmes à commander à la mer, quels ont été les moments marquants dans votre carrière ?
J’en distingue deux, car ils ont largement orienté ma carrière. Tout d’abord ma décision de me porter volontaire pour embarquer sur la frégate ASM Latouche-Tréville en 1993, au moment où la Marine cherchait deux officiers féminins volontaires pour embarquer au sein des deux premiers équipages mixtes. Ça n’était pas gagné, j’étais lieutenant de vaisseau, je n’étais pas chef de quart et je n’avais initialement aucun poste clairement identifié à bord ! Mes dix années embarquées et mes deux commandements de navire ont montré que j’avais fait le bon choix.
Ensuite, ma détermination à faire autre chose que de la communication et des ressources humaines, domaines pour lesquels je ne me sentais aucune appétence. J’ai donc décidé de ne pas poursuivre dans la communication – j’ai été commandant en second du Sirpa Marine – et refusé un poste RH alors que j’étais jeune CV. J’ai été entendue et comprise. Cette détermination m’a ouvert la voie vers des postes opérationnels au sein de la Marine et en interarmées, pour culminer avec les postes d’ALPACI (amiral commandant les forces maritimes françaises de l’océan Pacifique), puis de sous-chef des opérations de la Marine.
Selon vous, comment la place des femmes a-t-elle évolué au sein de la Marine ?
C’est assez simple, les femmes ont aujourd’hui accès à tous les postes, ce qui en dit long sur le chemin parcouru, notamment depuis la première expérimentation des femmes embarquées entre 83 et 87. Nous ne sommes donc plus au stade des « premières ». Droits et devoirs identiques, à terre ou embarqué(e), c’est un langage clair et admis par tous. Les femmes ont donc leur place, toute leur place dans la Marine. Qu’il y aura une femme commandant du porte-avions ou chef d’état-major de la Marine ça n’est plus une question mais une évidence. Et je trouve que la Marine peut, doit même, être encore plus ambitieuse : 15 % de femmes, c’est un chiffre que j’entends depuis une dizaine d’années, nous nous satisfaisons d’ailleurs d’être dans le peloton des marines occidentales comptant le plus de femmes. Mais est-ce vraiment représentatif aujourd’hui de notre société ? Je pense que non et que le temps est venu de passer la surmultipliée.
Quels conseils donneriez-vous à une jeune femme qui souhaite s’engager aujourd’hui dans la Marine ?
Difficile de donner des conseils sans passer pour « vieux jeu ». Les jeunes femmes d’aujourd’hui ont des attentes que je n’avais pas à leur âge. Je lui dirais probablement que dans la Marine, tout est possible. Par exemple d’entrer à l’École des mousses et de terminer une carrière comme amiral. Je lui dirais aussi que la Marine, comme la mer, est un immense espace de découvertes potentielles, tant humaines que professionnelles, et qu’à elle seule appartient le pouvoir de les réaliser. Je lui dirais qu’elle y trouvera de belles valeurs qui la soutiendront et la porteront dans les moments de doute ou de difficulté, comme l’esprit d’équipage. Je lui dirais que « servir » est un amer tout à fait remarquable qui la guidera par gros temps.
Au final je lui dirais, allez, vas-y, ose !
Parcours
MP Isabelle, major conseiller du commandement de la zone et de l’arrondissement maritimes de la Manche et de la mer du Nord
Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours atypique. Engagée en 1989 en qualité de transmetteur, je débute une carrière technico-opérationnelle. J’ai la chance d’embarquer à bord de l’ancêtre du Monge, le bâtiment d’essais et de mesures Henri Poincaré.
En 1999, une inaptitude médicale me contraint à me réorienter. Je retourne sur les bancs de l’école, en l’occurrence celle des fourriers, et je deviens secrétaire militaire. Suivent des affectations à terre puis l’obtention du brevet supérieur de secrétaire militaire par la validation des acquis de l’expérience qui m’ouvre la porte de l’outre-mer. Je pars au bureau de recrutement de la Marine à La Réunion et j’enchaîne avec une affectation à bord du bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Marne, en 2011. Ce sera une affectation fantastique et riche d’enseignements. C’est une sacrée aventure humaine d’embarquer en tant que premier maître à plus de 40 ans ! Mon affectation commence fort car je suis appelée un mois en avance, c’est le début de l’opération Harmattan. Je passe ensuite cinq mois en océan Indien dans le cadre de l’opération Atalante. Si mes responsabilités familiales ne m’avaient pas rappelée à terre, j’aurais demandé une nouvelle affectation embarquée. J’ai trouvé à bord comme une seconde famille, un vrai esprit d’équipage et de cohésion. Le fait d’être une femme n’a jamais été un handicap, ni un avantage, j’étais un marin comme les autres.
De retour à terre, à l’École des fourriers, j’obtiens le brevet de maîtrise en ressources humaines et gestion des administrations en 2015.
À l’été 2017, j’ai la chance de voir ma candidature acceptée pour la fonction de major conseiller à Cherbourg, j’ai décidé de servir les autres, le tout en étant au contact direct des marins et du préfet maritime.
Quels ont été les moments forts de vos affectations embarquées ?
Les moments forts ont été nombreux. Ils ont tous un dénominateur commun : l’esprit d’équipage. C’est celui qui nous permet de remplir nos missions en sachant que chacun peut compter sur l’autre. C’est celui qui nous permet aussi de nous déployer loin et longtemps au sein d’une seconde famille.
Quelles ont été les difficultés à surmonter au cours de vos affectations à la mer ?
Les fonctions d’officier de garde et d’officier de quart aviation. La fonction d’officier de garde est essentielle à bord. Pour moi, cette fonction a été, dans un premier temps, une somme gigantesque de connaissances à ingurgiter pour connaître le bâtiment par cœur. Ensuite, ce fut une vraie prise de conscience de mes responsabilités comme représentant du commandant. Quant au poste Avia, avec mon anglais plus que perfectible, la mise en jambe fut difficile d’autant plus que, pendant l’opération Harmattan, les postes aviation s’enchaînaient, parfois plusieurs fois par jour. Ces difficultés m’ont aussi fait prendre conscience de l’adaptabilité du marin et m’ont appris à sortir de ma zone de confort. Au final, j’en sors grandie.
Enfin, l’éloignement du foyer et l’inévitable distance prise vis-à-vis des contraintes familiales sont les facteurs les plus difficiles à supporter. Néanmoins, s’agissant d’un choix de couple mûrement réfléchi et grâce à l’esprit de fraternité qui règne au sein d’un équipage, je suis aisément parvenue à trouver l’équilibre entre ma situation personnelle, familiale et professionnelle.
Quels conseils donneriez-vous pour une jeune femme qui hésite à demander une affectation à la mer ?
J’invite toute jeune femme à tenter cette aventure car l’expérience de la mer est unique et les affectations à terre ne suffisent pas toujours à percevoir avec objectivité les exigences du métier de marin.
L’embarquement maintient aussi notre capacité d’adaptation et offre une réelle ouverture d’esprit.