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Histoire 1990 - Opération Salamandre

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La « diplomatie du porte-hélicoptères » en océan Indien

Durant les décennies 1970-1980, les porte-avions français ont multiplié les missions de « diplomatie navale » au large des zones de crise. La guerre du Golfe (août 1990-février 1991) voit également l’envoi en urgence d’un porte-avions en océan Indien pour rassurer les pays riverains, mais dans une configuration qui suscite bien des interrogations.

Le 2 août 1990, l’attaque de l’Émirat du Koweït par l’Irak suscite l’indignation quasi générale de la communauté internationale. Si les États-Unis projettent, à partir du 8 août, leur force de déploiement rapide dans la péninsule arabique, la France, très engagée au côté de l’Irak durant sa guerre précédente contre l’Iran (1980-1988), peine d’abord à définir sa position. Le 9 août, lors d’un conseil restreint tenu à l’Élysée, le président de la République, François Mitterrand fait admettre l’intervention militaire de la France. Selon le Président, il faut laisser toute sa place à la diplomatie, mais en restant crédible vis-à-vis de nos alliés traditionnels : « Répondre “non” aux Saoudiens, cela veut dire que l’on ne vient pas au secours d’un pays menacé et c’est dire “non” aux Américains et aux Anglais (…). On dira alors que la France n’est pas dans le coup.» Pour être « dans le coup», il faut traduire cette posture politique par un dispositif militaire : c’est le but de l’opération Salamandre.

La Task Force 623 en océan Indien
Sous le commandement du contre-amiral Jean Wild, ordre est donné à la Task Force 623, composée du porte-avions Clemenceau, du croiseur Colbert et du pétrolier-ravitailleur Var, de partir pour l’océan Indien. Les marins, qui ont l’habitude d’appareiller pour l’océan Indien où la flotte entretient une présence permanente, tiennent sans problème le délai requis de 72 heures. Le strict respect des périodes d’entretien – pour le Clemenceau en particulier – permet aux bâtiments d’être en bonne condition. De plus, la présence d’éléments de soutien à Djibouti, en particulier le bâtiment-atelier Jules Verne, facilite un départ rapide ; d’autres unités de soutien, le remorqueur Buffle et le pétrolier-ravitailleur Durance, rallieront par la suite. Seul le nombre limité de bâtiments antiaériens est un réel problème, car l’indisponibilité des trois unités les plus modernes impose de choisir le croiseur Colbert, dont ce sera la dernière mission. Le 13 août, les navires français quittent le port de Toulon dans une atmosphère de gravité qui rappelle que la guerre est dans tous les esprits.

Les hélicoptères à la manœuvre
Les hangars du porte-avions n’emportent pas les habituelles flottilles de Crusader et de Super Étendard, mais, à la place, les 42 machines du 5e Régiment d’hélicoptères de combat (5e RHC) : vingt Gazelle antichars, dix autres de reconnaissance et d’appui et douze Puma de transport. Les camions d’une compagnie du 1er Régiment d’infanterie (1er RI) sont aussi parqués sur le pont d’envol, sans toutefois empêcher la manœuvre des Alizé de l’aéronavale. Porte-avions, porte-hélicoptères, porte-camions… ce dispositif suscite étonnements et critiques incisives de la presse et d’une partie de l’opposition. Pourtant, la Marine et l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) ont l’habitude de s’exercer ensemble et le groupe ainsi constitué possède une valeur opérationnelle indéniable. Face à la menace d’une offensive irakienne dans le désert, le couple Gazelle-missile Hot serait bien plus efficace comme « tueur de chars » que des chasseurs-bombardiers. De plus, ce choix traduit précisément la position diplomatique française à ce stade, comme le souligne le contre-amiral Pierre Bonnot, Alindien à l’époque : « Un régiment d’hélicoptères, arme défensive contre une attaque de blindés, incarne un degré d’agressivité moindre qu’une [flottille] de chasseurs-bombardiers embarqués.» Les arguments ne manquent donc pas pour justifier l’opération. Encore faut-il les exposer aux commentateurs et accompagner les manœuvres militaires sur le plan médiatique. Une nécessité d’autant plus grande que l’effet recherché est d’abord politique.  

Un parti pris payant
De fait, Salamandre remplit bien ses deux objectifs principaux : l’engagement auprès des monarchies du Golfe et l’ouverture du théâtre. Le transit aller est l’occasion d’effectuer de nombreux exercices aériens et de s’entraîner à faire face aux menaces chimiques ou terroristes. Ainsi, la traversée du canal de Suez se fait au poste de combat et, en l’absence de caméras thermiques à bord, on dispose les postes de tir Milan du 1er RI dans des casemates improvisées sur le pont pour utiliser leur optique infrarouge. Puis l’escale à Djibouti permet d’acclimater le 5e RHC au milieu désertique et aux températures extrêmes : 50 °C à l’ombre ! Début septembre, le groupe se positionne en mer d’Oman à une vingtaine de nautiques des côtes pour permettre aux hélicoptères de participer à des manœuvres aux Émirats arabes unis et au Sultanat d’Oman. Enfin, cette présence sur zone permet de répondre très rapidement au pillage de l’ambassade de France à Koweït-City, le 15 septembre. La TF 623 est immédiatement déroutée vers Yanbu où le 5e RHC est projeté trois jours plus tard ; une escale permet de débarquer le reste des forces de l’ALAT pendant que des renforts commencent à affluer de France. L’opération Salamandre fait ainsi la liaison avec l’étape suivante de l’engagement français dans le conflit, l’envoi de la division Daguet. Mission accomplie, la Task Force rentre à Toulon le 5 octobre.
Par rapport à d’autres déploiements opérationnels des porte-avions français, Salamandre fait figure de mission incomprise, d’une part du fait de l’absence de l’emblématique groupe aérien embarqué et, d’autre part, parce qu’elle concrétise une position diplomatique française marginalisée par la suite des événements. Elle mérite cependant d’être considérée comme une mission de diplomatie navale bien conçue dans le contexte de l’été 1990. Elle offre également un exemple original des synergies qu’offre la mise en œuvre des hélicoptères de l’ALAT depuis les plates-formes de la Marine. Une combinaison dont la valeur s’est révélée avec la mise en œuvre des porte-hélicoptères amphibies lors de l’opération Harmattan, en 2011, cette fois dans un contexte beaucoup plus guerrier.

Dominique guillemin
Service historique de la Défense

Extrait du magazine Cols bleus n°3082 - octobre 2019 - Aguerrir - Préparer les marins au combat


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