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Romanciers et marins - Quand Alexandre Dumas et Jules Verne naviguaient pour de vrai

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À quelques années près, les deux géants de la littérature auraient pu se croiser en mer. Au large de la Sicile, par exemple, lorsque, sur sa goélette Emma, Alexandre Dumas portait assistance au chef de la guerre de libération italienne, Giuseppe Garibaldi. Tandis que Jules Verne, sur une barque de pêche, puis un cotre-pilote et, enfin, un yacht à vapeur, tous trois baptisés Saint-Michel, se lançait dans des croisières de plus en plus lointaines.

 

C’est une aventure digne de ses propres héros que le père des Trois Mousquetaires raconte dans Une odyssée, en 1860. Le romancier a acheté l’Emma« Une petite goélette ravissante ; soixante-dix-huit tonneaux, bâtie à Liverpool ; tout en acajou et en érable, doublée de cuivre... » – pour effectuer une croisière en Méditerranée orientale. Cette navigation fera l’objet de reportages, tout en lui inspirant un ou plusieurs romans. Or, comme l’Emma se prépare à larguer les amarres du Vieux-Port, à Marseille, parvient la nouvelle que, dans la botte italienne, la révolution gronde. Garibaldi se trouve d’ailleurs à Gênes où Dumas décide de faire escale pour saluer l’homme politique avec qui il a déjà eu l’occasion de sympathiser. Puis, comme la croisière se poursuit, la Sicile se révolte contre le roi de Naples et Garibaldi y accourt avec ses fameuses Chemises rouges. L’Emma arrive à Palerme en pleins combats. « Le drapeau sarde flotte sur la ville. Mais le drapeau napolitain flotte à la fois sur le fort de Castelluccio-del-Molo et sur le fort de Castellammare », précise Dumas dont le souhait d’apporter assistance à Garibaldi est attisé par le fait que François II, le roi de Naples, avait tenté d’assassiner le général Dumas, son père.

 

Alexandre Dumas, trafiquant d’armes

Garibaldi rend visite à l’Emma, à Milazzo, où la goélette a mouillé l’ancre, et Dumas se propose d’aller en France quérir les armes qui assureront sa victoire. Pour y arriver au plus vite, l’écrivain file à Messine pour embarquer sur le paquebot Pausilippeà destination de Marseille. Là – on se demande comment, mais l’histoire est trop belle – il trouve sans délai plusieurs centaines de fusils, carabines et revolvers avec leurs munitions. De retour à Messine, Dumas transfère son arsenal à bord de la goélette qui se prépare à appareiller pour cingler à la rescousse de Garibaldi. C’est alors que tombe la nouvelle : le héros vainqueur fait son entrée à Naples. Fin de l’aventure. Quant à l’Emma, elle connaîtra un destin digne de Dumas. Le romancier confie sa goélette à un aventurier qui projette d’explorer le cours du fleuve Niger. Mais, peu après son appareillage, en décembre 1864, elle est surprise par une tempête d’Est et cherche refuge dans le golfe de Fos. Hélas, son mouillage ne tient pas, et l’Emma est jetée à la côte sur la plage où se trouve aujourd’hui le port de plaisance de Saint-Gervais.

 

Jules Verne, authentique bourlingueur

Les cales des trois bateaux successivement armés par Jules Verne ne recèleront jamais, pour leur part, la moindre caisse d’armes. En revanche, elles verront naître des pages et des pages, car le prolifique romancier écrit beaucoup en mer. Le premier volume de Vingt mille lieues sous les mers est ainsi achevé dans l’estuaire de la Tamise, à bord du Saint-Michel, robuste barque de pêche de neuf mètres gréée de voiles au tiers. La cabine, longue de deux mètres pour un mètre soixante-dix de large, offre une hauteur sous barrot d’un mètre cinquante. On peut donc rendre hommage à la rusticité du romancier qui, accompagné par un patron-pêcheur, visite tous les ports entre Ostende et Saint-Malo en passant par les îles Anglo-Normandes.

Yacht et goélette pour sillonner les mers

On comprend que Jules Verne souhaite un jour naviguer plus confortablement : un nouveau voilier s’impose. Comme, dans les salons du Yacht-Club de France, l’écrivain évoque ses projets, on lui suggère de visiter le chantier Le Marchand, au Havre, constructeur de cotres destinés aux pilotes de la Manche, mais qui conviennent aussi à la navigation de plaisance. Le 25 avril 1876 est lancé le Saint-Michel II, un fin cotre surtoilé. De ce bateau, il est possible aujourd’hui de se faire une idée assez exacte, puisqu’il en existe une réplique plutôt fidèle. Avec le Saint-Michel II basé en baie de Somme, Jules Verne met le cap à plusieurs reprises sur l’Angleterre, puis il conduit une croisière côtière vers Nantes, le port de son enfance.

C’est là qu’il tombe amoureux d’une goélette à moteur auxiliaire de trente-cinq mètres, idéale pour des croisières ambitieuses avec des invités et... le petit personnel que cela impose. Ce véritable navire lui coûtera une fortune, bien sûr, mais les adaptations au théâtre de ses romans lui assurent aussi des revenus considérables. Avec le Saint-Michel III, le romancier effectue des navigations magnifiques. Ses quatre plus longues croisières le mèneront jusqu’en mer du Nord et en Baltique, vers Copenhague (1878), Édimbourg et l’Écosse (1879). Mais aussi en Méditerranée, jusqu’à Alger (1881), puis jusqu’à Naples (1884) via Alger, Malte et la Sicile. C’est bien plus tard que, se sentant vieillir alors que ses revenus diminuent – entre autres à cause des frasques de son fils Michel – le romancier navigateur se sépare de son yacht. Dès lors, Jules Verne ne reprendra plus la mer qu’à travers ses livres.

Dominique Le Brun

 

Extrait duCols Bleus N°3084 - Décembre 2019 - Manche-mer du Nord - Une région stratégique pour la Marine


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